Mon travail consiste à imaginer des histoires et à les réaliser en images et en sons.
Il y a plusieurs temps très différents dans ma vie professionnelle. Des temps où j’imagine des histoires, des temps où je les écris, des temps où je réalise ces histoires. Et des temps où je ne travaille pas. En ce moment j’écris une histoire.
8 heures. Je me réveille vraiment. Depuis une demi-heure, j’entends les voitures des employés du tribunal qui se garent sous ma fenêtre. Ils embauchent tous les jours à huit heures. Il y a des matins, environ 4 par an hors dimanche et vacances, où je me dis ma chance de ne pas pointer, où pour fêter ma liberté de me lever quand je veux, je reste au lit, je prends un livre et je lis. J’entends les voisins dans l’escalier, la douche de la voisine du dessus, infirmière, les enfants qui vont à l’école, la factrice.
Parfois le livre m’échappe et je me contente de regarder mon plafond en écoutant les sons de la vie.
En général je me lève autour de 8 heures. Je travaille chez moi, dans mon bureau ou dans la salle à manger. Je ne peux pas passer de mon lit à mon bureau, je dois faire un tour dehors avant de me mettre au travail. Café/journal/clope dans un bar.
Quand je suis au début de l’écriture d’une nouvelle histoire, je traîne dans le bar et j’écris là. J’écoute un peu autour, je lis les journaux. Pendant cette période où le scénario prend corps petit à petit, je suis boulimique de nouvelles d’ailleurs. Puis je vais au marché, je flâne autour des étals, j’imagine un plat pour le soir, à l’étape des notes, j’aime faire la cuisine.
À la lecture de cet emploi du temps flexible, certains vont peut-être se dire que je suis payée à ne rien faire, je précise tout de suite: à cette étape de mon travail d’écriture, je ne suis pas payée. Je vis de mes économies, en général les droits d’auteur que j’ai perçus pour un film précédent diffusé à la télévision. Je ne suis pas intermittente du spectacle, dans les questionnaires administratifs qu’il m’arrive de remplir, je coche la case: travailleur indépendant. Cette appellation me convient.
Mon travail sera rémunéré si cette histoire plaît à un producteur, s’il trouve de l’argent pour produire le film.
Il m’est arrivé de travailler pour rien, mais ce n’est pas du temps perdu.
Ces écrits subsistent et il m’arrive fréquemment de les retrouver, de les faire vivre dans une autre histoire, qui elle sera peut-être payante, donc en fait je travaille rarement pour rien! Et de toute façon le plus important pour moi est d’écrire ce que je veux, je pourrais sans doute écrire à la commande, mais j’ai du mal à me plier à cet exercice. J’ai raté les deux seuls films de commande que j’ai réalisés!
Si je fais ma moyenne annuelle, je gagne entre 1500 et 2000 euros brut par mois.
Je reviens au travail d’écriture. En ce moment, j’écris un scénario, le temps d’imaginer l’histoire est terminé, je flâne moins, je rentre après le café du matin et je me mets à l’ordi. De 9h00 à 13h environ, j’écris. Courte pause. Retour à l’ordi jusqu’à 19h environ. J’écris souvent avec la TV allumée. Je coupe le son. L’écriture est ponctuée de petits tours sur Internet. Comme des promenades. Les images des autres m’aident à écrire, j’aime les web cam qui découvrent des bouts de notre terre. L’autre jour je suis allée à Hopfn en Islande, là-bas ils pêchent la langoustine royale, ils la dégustent avec une sauce blanche aux asperges, personnellement je les préfère coupées en deux avec un beurre à la coriandre et passées au grill.
Plus j’avance dans mon scénario plus le temps d’écriture augmente et grignote sur ma vie personnelle. Je passe de moins en moins de temps avec mon compagnon et avec mes amis, je sors peu. Les deux/trois semaines qui précèdent la fin du scénario, en gros l’écriture des dialogues, je suis très immergée dans l’histoire. Quand je dialogue, je joue chaque personnage, j’adore ça, c’est un moment où j’aime bien être seule.
Actuellement, je n’en suis pas encore là, pour le moment je construis l’histoire séquence par séquence, dans une ou deux semaines je dialoguerai, j’ai hâte.
Je travaille mieux quand il pleut, je suis trop tentée de sortir quand il fait beau.
Si tout va bien, dans 4 semaines j’aurai une première version de scénario.
J’ai terminé ma première version de scénario le 15 novembre. En tout, de l’idée de raconter cette histoire à cette première mouture, 8 semaines environ se sont écoulées.
C’est une version brute, j’y teste des scènes, j’amorce des pistes à explorer, des personnages, bref elle est très perfectible, mais elle contient, tout ce que je veux raconter dans mon prochain film, et même ce que je raconte sans le savoir!
Je l’ai donné à lire à mon producteur, Olivier B. 2 heures plus tard j’ai reçu un SMS – «j’ai lu!»
J’attends toujours les retours avec appréhension: – le scénario va-t-il être apprécié? Est-ce que je suis à côté de la plaque?
J’ai de la chance d’être lue rapidement. Souvent les scénarios attendent des semaines, coincés dans des piles de manuscrits qui s’entassent sur les bureaux des producteurs.
Cette chance n’en est pas vraiment une. Je suis associée à la société de production qui produit mes films, j’ai contribué à sa création en 1999. Désir d’indépendance, désir de ne pas trop dépendre du désir des autres.
Discussion avec Olivier. Il m’a donné deux pages de notes. Il aime l’histoire et pense que ça peut faire un beau film. Ouf!
– Si c’est le film que tu veux faire, allons-y!
Ce «allons-y!», balancé avec légèreté, pèse quand même 150 000 euros qu’il va falloir trouver! Nous sommes d’accord sur la durée du film, 45 minutes environ.
Ajustements. Son regard de producteur est toujours très direct: Ce qui va/ce qui ne va pas. Je suis d’accord avec la plupart de ses remarques concernant l’écriture de cette nouvelle histoire, ses manques, et ses qualités. J’écoute, même si sur certaines je résiste, ou si je ne comprends pas bien quand il me dit:
– Là, je ne sais pas pourquoi, mais il y a quelque chose qui ne va pas.
Je vais devoir trouver ce qui provoque ce petit flou dans telle séquence et pour cela il est impératif de bien écouter, de prendre le temps de bien réfléchir à ce qui est dit. – Un scénariste ne doit pas dire non! m’a appris Outi Nyytajaa, professeur de dramaturgie à l’école de cinéma d’Helsinki.
Je vais repartir pour une deuxième version, il faudrait qu’elle soit prête fin novembre me suggère Olivier.
Je pense que c’est possible pour la première semaine de décembre.
Après cette première version, les images du film apparaissent peu à peu, quand je ferme les yeux, je peux déjà voir certaines séquences, j’ai trois semaines pour éclaircir celles qui sont floues.
Cette nouvelle histoire est un road movie, de Brest-France à Brest-Biélorussie, Brest Ouest/Brest Est, via Calais, Berlin, Varsovie, 2400 km environ. Avant de reprendre l’écriture, et notamment les descriptifs des décors du film, je vais sur le net voir des images des paysages traversés par le personnage. Des idées naissent de ces images. Comme cette photo prise dans une petite ville à la frontière Pologne/Biélorussie: des dizaines de robes de mariée blanches sèchent au soleil dans un champ ou cette immense étoile dressée à l’entrée de Brest Est.
Parallèlement à l’écriture, je dois m’occuper de mon précédent film qui va bientôt sortir en salle. Autres écritures: rédaction du dossier de presse, de dossiers administratifs, documents de communication, courrier aux partenaires. Bon, ce n’est pas ce que je préfère, mais faut le faire.
Il est parfois difficile de jongler entre ces deux sortes d’écritures. J’organise mon temps: le matin, écritures pour la distribution de mon film précédent, l’après-midi, écriture du film à venir. Sur le papier c’est simple, dans la tête un peu moins parfois. Il y a des petites sautes d’idées.
Janvier 2007
Création du site Internet de la société de production, rédaction des documents de communication de mon long-métrage, j’ai pris du retard sur l’écriture de la deuxième version. Finalement je l’ai terminée juste avant Noël.
La ronde des commissions commence: le CNC (centre national de la cinématographie), les comités de lecture des chaînes de TV, les commissions culture des régions, des départements, et d’éventuels partenaires privés.
Il va se passer 3/4 mois avant les premières réponses, dans le meilleur des cas.
Pendant ce temps, je vais affiner mon scénario, et surtout je vais partir trois semaines en repérages. Avec la future régisseuse du film, nous allons sur les traces du voyage vécu par le personnage.
J’oublie les commissions, j’avance. Plus le film prend forme dans ma tête moins j’imagine de ne pas le réaliser. Quand j’imagine le pire, refus de toutes les commissions, je me dis que je le ferai quand même, avec ma petite caméra amateur.
Pendant ces trois/quatre mois d’attente, je ne reçois pas de rémunération. Selon l’état de mes finances, il m’arrive de réaliser des sujets pour la télévision. Ces travaux sont moins personnels dans leur forme, mais restent des sujets que je propose, pas des sujets de commande. La réalisation est en général simple, basée sur des interviews, cela me permet de rencontrer beaucoup de gens, des univers différents. Ces expériences alimentaires comme on dit, m’ont apporté beaucoup, elles sont plutôt complémentaires.
Cette année, en activité complémentaire, je vais encadrer un atelier d’écriture de scénarios. Je fais ça tous les deux ou trois ans. Transmettre aux autres ce que je pratique me force aussi à faire le point sur mes propres connaissances.
Départ dans 3 jours, je vais sur Internet pour décortiquer l’itinéraire que nous allons parcourir, 2300 km de Brest à l’Ukraine, via Calais, Berlin, Varsovie, Terespol (frontière Pologne/Belarus) puis L’viv en Ukraine, et retour prévu début février.
Dans mon sac, outre des vêtements chauds, je glisse un appareil photo, ma petite caméra vidéo et 5 cassettes, un carnet de croquis, je dessine comme un pied mais j’adore ça, et un livre de poésies d’Emily Jane Brontë. En lisant la préface, je découvre qu’elle détestait voyager, tant pis, je l’emmène avec moi là bas à l’Est, j’espère qu’elle ne m’en voudra pas…
9 février 2007
Je suis rentrée depuis une semaine.
5500 km en 20 jours, trans-Europe express. C’était bien.
Mon scénario a été bousculé. La réalité a apporté ses surprises, ses richesses, visuelles, auditives, émotionnelles. Peu à peu, je les intègre à mon histoire, j’attaque la troisième version. Je rentre avec une certitude, je ferai ce film, avec ou sans moyen, il existera.
Petite déconvenue au retour, le stage de scénario que je devais encadrer, et qui devait me permettre de gagner ma vie en attendant de faire ce film, est reporté. Il va falloir que je trouve une autre activité. J’ai de quoi tenir jusqu’à juin. Il va bien se passer quelque chose… Je commence à regarder les publicités pour les crédits, 4000 euros tout de suite, sans intérêt pendant trois mois, «Réalisez vos rêves» propose un autre organisme…
Je travaille sur la sortie de mon long-métrage, nous le distribuons nous-mêmes, nous découvrons une nouvelle étape dans la vie d’un film, un nouveau corps de métier: les exploitants de cinéma. C’est pas facile tous les jours, mais le film est bien reçu, la tournée s’annonce bien. Aller à la rencontre du public, on the road again! Belle aventure en perspective et le plaisir de retrouver les comédiens du film.
Cette nouvelle expérience me confirme dans mes choix: rester indépendant. Par exemple, j’ai pu choisir l’affiche, privilège rare, la plupart du temps une fois qu’un film est entre les mains d’un distributeur, le réalisateur n’a plus son mot à dire.
Dernière minute: le film vient d’obtenir l’avance sur recette après réalisation! Ouf! le crédit contracté par la société est remboursé et nous allons même pouvoir tirer quelques copies supplémentaires. Et puis cette reconnaissance des professionnels fait du bien. Bon d’accord, si on l’avait pas eu, j’aurais râlé, j’aurais sans doute dit:
— Quelle bande de C…!
Aujourd’hui je les aime tous!
Vive le cinéma, Champagne!