Ce site est consacré à des descriptions de travail. Le travail avec lequel on gagne sa vie, ou une autre forme de travail, parce qu’on n’a pas forcément de travail rémunéré – on l’a perdu, on a choisi de ne pas en avoir, on fait autrement...

Les descriptions sont nées de deux façons: soit leurs auteurs ont entendu parler du projet et m’ont envoyé un texte, soit je me suis rendue moi-même auprès d’eux pour solliciter leur contribution.

Je laisse parler la personne aussi longtemps qu’elle le souhaite. J’essaie de me taire. J’enregistre. Je transcris ensuite ses propos. Je lui remets le texte écrit et nous en discutons jusqu’à trouver la forme sous laquelle il apparaît sur ce site.

Ma position n’est pas celle d’un sociologue ou d’un journaliste: je n’étudie pas, je ne cherche pas la chose intéressante, je ne synthétise pas – j’écoute et je transcris en restant au plus près des propos tenus.

Christine Lapostolle

J’écris depuis longtemps. Des livres qui se situent entre témoignage et fiction – des rêveries qui prolongent le spectacle de la vie. Le spectacle vu de l’intérieur, forcément. Le spectacle dans lequel nous sommes tous bon an, mal an, impliqués.

Dans l’école d’art où j’enseigne, je m’occupe du matériau langage, j’incite les autres à écrire, à faire attention aux mots... Les écoles d’art sont des lieux où l’on peut prendre le temps de la rencontre, des lieux où l’on ne se lasse pas de chercher comment transmettre, comment regarder, comment se parler, comment faire...

Ce site est un troisième pan de ce que je cherche avec l’écriture; ici l’expression de ceux qui participent et la mienne se rejoignent, je prête ma plume à des gens qui à travers leur parole mettent à disposition leur expérience.

Le blog que j’ai tenu sous forme d’almanach tout au long de l’année 2008 est consultable ici.

J’ai aussi travaillé en duo avec Karine Lebrun à l’élaboration du site 13 mots dont l’initiative et la forme lui reviennent.

Remerciements et contact

Je remercie tous les auteurs de descriptions ainsi que ceux qui ont contribué à la réalisation de ce site et ceux qui le fréquentent.

Le design de ce site a été réalisé par Gwenaël Fradin, Alice Jauneau et David Vallance en hiver 2018.

Si vous souhaitez, vous pouvez me contacter ici ou vous inscrire à la newsletter pour être averti de la sortie de nouvelles descriptions.

Tri par:
Date
Métier
Pascale, marathonienne 12.07.2021
Je suis enseignante dans le primaire. Je fais de la formation auprès des enseignants. Je me déplace dans les écoles. Comme j’ai un peu …
Violaine, épicière, équicière 01.02.2021
C’est une épicerie familiale qui était tenue par Angèle jusqu’à ses 85 ans. Ses parents l’avaient tenue avant elle. Quand elle est décédée, ses …
Éric, garagiste 22.12.2020
Le garage a ouvert en mars 2018. J’ai réussi à me salarier en août. Les gens réparent eux-mêmes leur véhicule et je les accompagne. Ce n’est pas …
Éric, artiste 04.05.2020
Je suis artiste et enseignant. Enseignant dans une école d’architecture. Artiste plasticien. Mon temps de travail, si on ne parle que de …
Yoann, futur ex-directeur culturel 14.04.2020
J’ai commencé à travailler pour cette structure il y a 17 ans. J’étais assez jeune, j’avais 23 ans. J’avais collaboré auparavant avec un …
Philippe, rentier homme de ménage 10.02.2020
J’exerce une curieuse profession, dont je serais bien incapable de donner le nom. Elle a un côté chic, puisque je suis propriétaire de trois …
F., Masseur bien-être 22.10.2019
Le nom du métier c’est «masseur bien-être». Il s’agit de massages à visée non thérapeutique. Le terme de thérapeutique est réservé aux …
Zéti, au marché et aux fourneaux 02.03.2019
Je travaille en tant que commerçante. Petite revendeuse pour commencer. Dans le coin. Je vends des bijoux. Des perles significatives, parce que …
Line, libraire 06.01.2019
Être libraire, c’est avoir un dos solide pour transporter les colis, tous les matins, avoir un bon cutter pour les ouvrir, les ouvrir avec …
Thomas, marin pêcheur 04.04.2016
Mon parcours. Je suis juriste de formation. Je viens d’une famille de marins. Mon père, mes grands-parents, mes arrières-grands-parents, ça …
P.L., président d’université 02.09.2015
Comment on devient président d’une université? Dès que tu entres à l’université comme enseignant-chercheur, tu consacres une partie de ton temps …
Js, maçon par intermittence 14.12.2014
Je me pose beaucoup de questions sur le monde du travail , sur ce que j’y cherche, ce que j’y trouve, sur ce qui me donnerait un peu de joie. Ça …
D., directrice d’école d’art 03.06.2014
Je n’ai pas toujours été directrice d’école d’art. Il y a des directeurs qui ont été prof. Artistes, de moins en moins, il doit en rester un ou …
Barbara, scénariste 08.02.2014
J’écris des films et des séries pour la télévision . Au fond, j’entre dans la maison des gens pour leur raconter une histoire. Pour moi, dans …
P., médecin spécialisée VIH 11.11.2013
Le métier de médecin, c’est quelque chose que j’ai toujours voulu faire. Même si j’ai autrefois pensé à faire de l’ethnologie – c’était plus …
Julie, hôtesse de l’air 02.08.2013
Mon premier vol. C’était en décembre, il y a presque douze ans. Je travaillais pour la compagnie Star Airlines . Nous étions une centaine de …
Arthur, vie extérieure 17.06.2013
Je ne dirais pas travail. Pas occupation. Je dirais que je n’ai pas d’occupation. Mais beaucoup de... de préoccupations. C’est avant …
Michel, psychanalyste 21.02.2013
Préambule. Longtemps, j’ai eu quelques difficultés pour répondre à la sempiternelle question: – Vous êtes psychanalyste, quel métier …
Annie, chercheur(e) 16.09.2012
Chercheur(e) – Je n’arrive pas encore à habituer mon œil à ce (e). Bien que, dans mon métier et dans ma vie, je revendique ce qu’il signifie: …
Benoit, pianiste 26.05.2011
Ça va faire dix ans cet été. Je vivais au Havre. J’étais marié, j’avais deux enfants, ils avaient sept et dix ans et on a acheté une maison ici, …
Françoise, houspilleuse locale 17.02.2011
Depuis que je ne travaille plus au journal , évidemment mes journées sont moins structurées qu’auparavant. Apparemment. Ce qu’il y a de …
Jean, maire 21.11.2010
Au quotidien, dans une petite commune comme la nôtre,  on a la chance d’avoir  un secrétariat de mairie ouvert six jours sur …
Mathilde, institutrice 19.08.2010
Travailler avec des petits Depuis quelques années, je fais classe toujours au même niveau: à des CE1, qui ont 7 ans. C’est un âge que j’aime …
M et L, facteurs 20.03.2010
Devenir facteur J’ai donné la parole à deux facteurs de mon village qui ont souhaité participer ensemble à la conversation. M. est toujours en …
Jean-Yves, éleveur de chèvres 06.02.2010
Les chèvres , je vais les voir plusieurs fois par jour, je suis obligé. Parce que des fois elles se sauvent malgré la clôture. J’ai 22 chèvres …
Marylou, auxiliaire de vie 17.12.2009
C’est très  difficile à raconter . Je fais des gardes de nuit à domicile. Je dors chez les personnes. Ce sont des personnes qui ne peuvent …
Sylvie, chanteuse russe 24.08.2009
J’aimais beaucoup les  contes russes  quand j’étais petite, mais comme il n’y avait pas de russe à l’école, je n’ai pas eu l’occasion …
Marijka, cinéaste 14.05.2009
Mon travail consiste à imaginer des histoires et à les réaliser en images et en sons. Il y a plusieurs temps très différents dans ma vie …
Jean, professeur de philosophie 30.01.2009
J’enseigne dans un lycée, à Montpellier. J’ai 43 ans et 14 années d’enseignement. Travail Il s’agit de  donner des instruments de travail …
L’activité de kinésithérapeute 20.08.2008
Le centre est un établissement privé, de 80 lits dits «de suites et de rééducation». Il fonctionne avec un prix de journée assez bas par rapport …
Les tourments d’une lycéenne 07.07.2008
De la difficulté de s’orienter… des couloirs du lycée au couloir de la faculté. Paris, premier septembre 2006: C’est la rentrée des classes, …
Martine, muséographe 17.03.2008
Mon métier c’est  exposer . Une histoire, une collection, un morceau de territoire, un thème, même. Je m’occupe des contenus d’une …
Éric, potier 15.01.2008
(Nous habitons le même village, nous nous voyons presque tous les jours. Nous nous sommes servis d’un magnétophone…) C’est un travail qui …
Je travaille dans une chaîne de cafés 03.10.2007
Recherche de la définition d’une «non-situation» (pour qu’elle en devienne une) d’une étudiante en philosophie, étrangère, qui travaille dans …
Christine, prof d’histoire de l’Art 20.06.2007
Tentative de description de la situation de professeur d’histoire de l’art dans une école des Beaux-Arts J’enseigne dans une école des …
Un quotidien 13.03.2007
J’ai deux métiers!! Par chance(?), je travaille à la maison. Le matin, après avoir conduit mon époux au travail, j’allume mon ordinateur …
Virginie, graphiste 02.11.2006
Je suis  graphiste – je fais aussi de la direction artistique. J’ai 39 ans. Je vis à Paris. Je travaille depuis 1991, soit 15 ans.  …
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Pascale, marathonienne12.07.2021

Je suis enseignante dans le primaire. Je fais de la formation auprès des enseignants. Je me déplace dans les écoles. Comme j’ai un peu d’expérience maintenant cela m’intéresse beaucoup, ça me permet de réfléchir sur ma pratique: je suis obligée d’expliquer aux enseignants comment je faisais dans ma classe. Pour leur donner d’autres pistes de travail, apporter de nouveaux outils. Même s’ils font déjà des choses très très bien... Je vais retourner dans ma classe après. C’est un remplacement. J’étais partie pour un an, j’y suis depuis quatre... En quatre ans j’ai beaucoup évolué et je suis rentrée dans ce rôle de formatrice: passation d’astuces, de savoir faire...

J’ai une spécialisation EPS (Education Physique et Sportive); je suis en charge de ce dossier là. Faire pratiquer mes élèves. Le sport a toujours tenu une grande place dans ma vie, je pourrais en parler longtemps. J’en toujours fait, toute jeune j’adorais ça. J’ai eu des profs excellents au collège, au lycée, qui m’ont toujours encouragée et fait aimer le sport.

Je participais à tout: le mercredi après-midi: tu viens? oui, oui, je viens. Toujours partante! J’ai fait pas mal de sports différents.

Je n’ai pas fait d'études de sport. Je voulais être enseignante auprès des plus jeunes. Je me disais que je pouvais faire du sport aussi avec eux. j’ai quand même regretté de ne pas avoir choisi une filière qui m’aurait permis d’être plus en contact avec des sportifs de haut niveau. Cela me manque un petit peu.


Ma pratique personnelle s’est concentrée sur la course à pied. J’ai commencé à travailler, j’ai eu trois enfants en quatre ans, et quand je me suis dit, je vais reprendre le sport... Avec trois enfants petits, qu’est-ce qui est le plus facile, qui prend le moins de temps? C’est de partir courir depuis la maison. Hop, en une demi-heure on a déjà fait un bon tour. Dès que mon mari rentrait, je filais! Avant le travail, après le travail... Dès que j’avais un moment. Cela devient addictif.

Un jour mon médecin, qui courait, me dit, il va y avoir un marathon dans la région – c’était le marathon du Bout du monde  – tu as le gabarit, tu ne veux pas essayer? J’ai commencé par dire, je ne pourrai jamais, ce n’est pas possible. Rien que la distance! Dans la tête, c’est impossible: 42km195 exactement. Il fallait relier la Pointe du Raz à Douarnenez en courant. Je ne pourrai pas. Si si si, il me dit, on va s’entraîner, on va commencer doucement... Finalement j’ai dit, pourquoi pas. J’aime bien relever les défis. Si ça a l’air impossible, c’est intéressant d’essayer. On s’est entraîné. Sur un peu plus de deux mois. Avec l’objectif de le terminer. Ça a commencé comme ça: le marathon du Bout du monde.

Le marathon c’est toute une aventure. C’est une aventure avant: c’est un projet, comme construire une maison: je veux faire ça... J’ai ça comme objectif et il va falloir que je me prépare. C’est deux mois, trois mois de préparation... Cela dépend d’où on part, de quel niveau. A priori tout le monde peut le faire. Tout le monde peut courir cette distance; ça dépend à quelle vitesse. Mais il faut s‘entraîner. Pour que le corps supporte cet effort si longtemps, il faut qu’il soit habitué à faire un certain nombre d’efforts au quotidien. Sachant qu’à l’entraînement on ne fait jamais la distance des 42km... On ne la fait pas parce que c’est épuisant. Si on fait cette distance là, on ne la refera pas un mois après. C’est très éprouvant pour le corps. On ne peut pas faire de marathon toutes les semaines. Moi j’en fais deux par an. C’est le maximum recommandé.

S’entraîner c’est courir souvent. Quand je prépare un marathon, je m’entraîne six jours sur sept. Avec un jour de repos dans la semaine. Et il faut courir un certain nombre de kilomètres par jour, par semaine. S’entraîner sur la vitesse. Il n’y a pas que l’endurance, il y a aussi l’intensité. Pouvoir courir vite. Parce que c’est quand même une course: il ne suffit pas de finir, il faut aussi finir le plus vite possible.

Il y a d’autres marathoniens dans la région. Il y a une association qui s’appelle les «réderiens»... on se retrouve et on court ensemble par affinités. Pour s’aider. Parce que certains entraînements sont très difficiles. S’aider c’est être accompagné pour que ça passe vite et sans douleur. Je cours souvent seule sur des sorties courtes, mais quand on fait du long et du dur, c’est stimulant d’être à plusieurs: il y a un certain jeu à ne pas être lâché par l’autre, à se lancer des défis: il faut qu’on soit arrivés à la côte en 30 secondes ... Á plusieurs, on discute, on se fait des amis. Et on découvre. On habite le même coin mais on n’a pas tous les mêmes parcours. On découvre tous les petits chemins qu’on ne voit jamais en voiture: les raccourcis, le bord de mer, la campagne...

C’est aussi un rapport à la nature. Parce que c’est un sport d’extérieur, par tous les temps. Un marathon ne sera jamais annulé quand il pleut. Le marathon du Bout du monde à la Pointe du Raz, on a eu la pluie, la grêle, le froid, eh bien on était tous là!

Cela doit faire quinze ans que je fais deux marathons par an. Le marathon du Bout du monde n’existe plus mais il y a des marathons partout, dans le monde entier. Cela donne l’occasion de voyager, de partir en weekend. Et de se faire des connaissances qui partagent la même passion...

Je n’ai jamais fait un marathon toute seule. Soit on se rejoint sur le site, soit on part ensemble en voiture. Si c’est loin on prend un hébergement à plusieurs sur place. En général c’est le samedi ou dimanche. C’est convivial: on mange ensemble, on a peur ensemble.

Les gens se sont préparés pendant des mois. Et là, qu’est-ce que ça va donner?... Est ce que je vais pouvoir finir? Est ce que je ne vais pas avoir mal au pied? est-ce que je ne vais pas avoir de crampe? ou mal au ventre? Il y a plein de questions. Parce que le corps souffre. Alors le fait d’être en groupe rassure.

L’entraînement, finalement, c’est plus dur que la course. La course, on est pris par l’émotion au départ, puis l’adrénaline tout de suite. Et il y a aussi cette inquiétude: est-ce qu’on arrivera à faire la distance le jour j?

Dans chaque marathon il y a des milliers de personnes. Á Paris il y a 40 000, 50 000 coureurs. Les coureurs les plus rapides se mettent devant. Il y a des sas. Tout est organisé. On sait si on fait un marathon plutôt en quatre heures ou en trois heures. Celui qui fait son premier marathon, il va peut-être le faire en cinq heures, il ne se met devant sur la ligne de départ, il va gêner tout le monde! Les gens savent se placer.

Le départ est donné dans une ville. En général on est sur la largeur d’une rue. On est les uns derrière les autres. Et là il y a une grande grande émotion. C’est théâtralisé: musique de fond, chroniqueur au micro qui fait monter un peu la pression, qui présente les vedettes du coin... les gens connus: Alors aujourd’hui on a untel sur la ligne de départ... Les gens se connaissent tous, se voient régulièrement dans toutes les courses...

C’est très amical. C’est une compétition contre soi-même. C’est difficile de gagner un marathon, donc c’est vraiment un défi personnel. C’est un peu comme la vie quoi, on est tout seul. On est seul mais de temps en temps il y a quelqu’un qui vient te taper dans le dos et qui te dit, courage... Il se passe plein de choses dans une course sur trois, quatre, cinq heures, c’est du concentré d’émotions. Le marathon c’est comme la vie. Et à l’arrivée tu sais que tu as tes amis qui sont là, qui t’attendent; même s’ils sont arrivés avan toi, ils attendent.

Ensuite on se retrouve tous et on fait une belle fête... Epuisés. Mais on partage ce qu’on a vécu: de la douleur, des émotions... et du bonheur!

Il y a des marathons très conviviaux. Les gens reviennent tous les ans. Le marathon de Cognac par exemple, certains viennent même déguisés, courent déguisés: c’est une fête. Le lendemain du marathon il y a encore un repas. Et pour se dégourdir les jambes il y a une randonnée, une marche. C’est un weekend de fête... Moi j’ai découvert cette région que je ne connaissais pas, le milieu viticole. On repart avec sa bouteille de cognac!

Il faut énormément de bénévoles pour organiser un marathon. Le long du site du parcours, et puis au lieu d’arrivée, au lieu de départ. Il y a tout un village marathon avec cantine, repas, tout ça. Et les gens vous accueillent vraiment; c’est chaleureux. On discute. On découvre. C’est une sacrée organisation.

Il y a un marathon à Paris, qui se déroule normalement au printemps. Je l’ai fait deux fois. On court dans Paris un dimanche matin sans aucune voiture. Il y a un silence... Et on passe par tous les lieux magiques de Paris, ça fait bizarre: sous les ponts, le long des quais de Seine. C’est une façon de déambuler dans une grande ville... On voit des paysages superbes.

On est allé avec les copains du coin à Berlin. On visite des grandes villes. C’est du tourisme sportif mais avec beaucoup d’émotion. Quelle que soit la performance.

Il y a aussi le fait que ce soit tellement éprouvant physiquement, tellement fatigant. Il arrive que les gens pleurent... Ce sont des sensations qu’on retrouve dans les grands événements de sa vie. C’est difficile à expliquer à quelqu’un d’extérieur.

On revient d’un marathon on est sur un nuage. La sécrétion d’endorphine nous fait planer pendant tout le weekend et les jours suivants. C’est une drogue. On est sur un haut plateau. Et puis après: on ne peut plus courir... Le lendemain, on ne peut pas descendre les escaliers! On se traîne, on fait du tourisme. Ça fait du bien de marcher parce que ça redétend les muscles. On est là entre nous, on débriefe, on a tous quelque chose à raconter. Chaque fois c’est une aventure. Une aventure entre nous, mais on fait aussi des rencontres, à chaque fois.

Quelquefois certains se blessent, cela peut arriver: ou qu’on se torde la cheville, des ennuis gastriques... Les ennuis gastriques, c’est un peu la maladie du marathonien. On s ‘arrête très peu. On s’arrête au ravitaillement: manger un petit peu, une collation, boire surtout, on a besoin de boire. Mais c’est une course, on est toujours en mouvement. Surtout si on est dans les premiers: on n’a pas du tout envie de s’arrêter, on est pris au jeu... Là on a envie de tenir, tenir, tenir. Cela m’est arrivé de gagner un marathon, je n’y croyais même pas, je me disais: ce n’est pas possible, ce n’est pas moi qui suis devant!

Il y a un gagnant fille et un gagnant homme. C’est un des rares sports qui fait concourir en même temps les hommes et les femmes, les professionnels et les amateurs. Un seul parcours, tous en même temps, c’est le même départ... C’est le seul sport où on part ensemble. Même épreuve, quel que soit ton niveau, tu es dans le même bain que les autres. Il n’y a pas beaucoup de sports qui mélangent hommes et femmes sur la même épreuve; les femmes courent un peu moins vite que les hommes. Les champions mondiaux sont des Kényans, le record doit être de 2h03, alors que les femmes, la meilleure au monde elle est à 2h14 peut-être. Entre des gens comme nous, dont ce n’est pas le métier, il y a plus de décalage encore.

Les professionnels, on les appelle les élites, sont devant. Sur des grands marathons comme Paris, la Rochelle, des grandes courses, ils partent devant, ils ont un sas préférentiel, des barrières. Il partent tellement vite de toutes façons, on ne pourrait même pas les suivre.

Mais tout le monde est récompensé, dans chaque catégorie. On voit des gens de soixante, soixante-dix ans sur le podium, c’est émouvant. Derrière c’est toute une vie de passion. Et ces gens-là ils sont connus dans le milieu, ils ont des tas d’anecdotes à raconter.

On est catégorisé par âge. Moi je ne peux pas concurrencer une jeune femme de 25 ans. Enfin si, parce que quand on est 1ère, 2ème ou 3ème sur un marathon c’est toutes catégories confondues.

Ce n’est pas une question de gabarit. J’ai vu des grands costauds arriver sur la fin du marathon, vers le 34ème kilomètre, on appelle ça le mur, j’ai vu des grands costauds s’écrouler au 34ème kilomètre. Physiologiquement, tout d’un coup, c’est comme si on n’avait plus de pile, plus d’énergie. Cela peut être dû à plein de choses: l’entraînement qui n’a pas été forcément bon. Ou alors on ne s’est pas bien alimenté pendant la course... Pas assez bu aussi, parce qu’il faut boire beaucoup pour ne pas avoir de crampe. Et le corps à un moment donné dit stop.

C’est là que quelqu’un qui passe à côté va peut-être te dire, allez viens avec moi... Ça c’est beau. Allez accroche toi... Quelqu’un que tu connais ou pas, qui galère aussi. Parce qu’on est tous dans le même bateau. Arrivés à ce nombre de kilomètres, on est tous fatigués. On est fatigués, mais c’est à ce moment-là qu’on commence à planer aussi.

Les endorphines sont tellement présentes. c’est tellement dur que quand on est bien – cela m’est arrivé souvent – eh bien on plane, c’est comme si on était un peu au-dessus du corps. Comme dans Tintin, le corps court et l’esprit est au-dessus, c’est planant quoi.

Il y a la préparation mentale, qui compte beaucoup. Dans la tête il faut être prêt. Ce qui se passe dans la tête de certains à un moment donné c’est: «j’en ai marre, qu’est-ce que je fous là ?» Et si ça prend le dessus, c’est fini. C’est un sport qui requiert énormément de force mentale. Pour dire au corps, ben non, tu continues. Alors que le corps à un moment il a forcément envie de s’arrêter... On a tous durant la course une faiblesse, c’est physiologique.

La respiration, le contrôle, la gestion, les souffles réguliers de tous les coureurs les uns à côté des autres dans la course – comme dans la vie...

Quand je prépare un marathon, je ne fais que ça, je dors marathon, je mange marathon, je ne pense qu’à ça. Mon emploi du temps est calé sur l’entraînement. J’essaie de choisir mes marathons en fonction du calendrier de mes vacances pour pouvoir bien m’entraîner. Deux marathons dans l’année cela nous prend quand même pas mal de notre temps. Plus de la moitié de l’année on est obsédé! Si je travaille, je vais courir tôt le matin. Je connais bien le boulanger, les infirmiers, on se salue, les pêcheurs, tous les gens qui se lèvent très tôt... Et je vais pouvoir m’entraîner une deuxième fois dans la journée. Pour avoir mon nombre de kilomètres. Á midi, le soir. Pour attteindre au minimum 100 kilomètres par semaine.

Des fois c’est dur. Mais il y a un plaisir. Plus c’est difficile, plus on est satisfait de l’avoir fait. Comme pour tout.

Le plan d’entraînement va crescendo en difficulté. Il ne faut pas penser à ce qui va être difficile. Il faut penser à l’entraînement que je vais avoir aujourd’hui, essayer de bien le faire.

J’ai évolué dans ma façon de m’entraîner. Il faut trouver ce qui est bon pour soi. Il y en a qui préfèrent faire beaucoup d’endurance, moi j’essaie de varier les distances et les exercices: un petit peu de vitesse sur la piste mais aussi une sortie longue le dimanche avec une ou deux copines.

On court tout le temps. On court la nuit aussi.

Le marathonien, il veut toujours faire mieux. On est des perfectionnistes. Améliorer à chaque fois notre propre performance: si j’ai mis quatre heures, il faut que la prochaine fois je fasse moins. Ou bien c’est une place, faire une place. Gagner. Faire un podium. Là c’est le summum. Quand on peut faire et un meilleur temps et un podium, c’est le bonheur. Pour gagner quoi? Pour gagner rien du tout. Sur certaines courses il y a de l’argent. Mais ce n’est pas ça. C’est un défi contre soi-même. Faire toujours mieux.

Ensuite? eh bien ensuite il y a un creux. On ne peut plus courir, on est en manque. Une grande fatigue. Pour que le corps se remette on dit que c’est un jour par kilomètre parcouru. Donc 42 jours... Toutes les fibres musculaires sont abîmées. On ne court presque plus. Les professionnels se massent, s’entretiennent, nous les amateurs on repart dans nos vies professionnelles. Puis on sent petit à petit le corps qui se régénère. Comme si on atteignait une pureté à un moment donné, je ne sais pas comment expliquer. On est régénéré d’avoir fait ça. Et ça revient. C’est un cycle en fait. Je ne sais pas si vous comprenez. C’est comme la vie. On apprend.

Cela change ma façon de voir la vie. Le sport de toutes façons vous apprend plein de choses. Moi cela m’a appris à ne pas paniquer dans le travail, à affronter les problèmes. Je les prends les uns après les autres, je ne panique pas. Je fais les choses sur la durée, comme un marathon. On prend le temps, on se pose, ça décante. Comme avec l’entraînement. Je serai prête le jour où il faudra. Cela m’apprend à gérer mon stress. Et à m’organiser aussi.

Le marathon il faut être humble, respectueux de son corps. Il ne faut pas lui demander plus qu’il ne peut. C’est cela que j’essaie de transmettre à mes élèves: tu n’as qu’un corps, il faut être exigent, mais il ne faut pas lui demander l’impossible.



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