Ce site est consacré à des descriptions de travail. Le travail avec lequel on gagne sa vie, ou une autre forme de travail, parce qu’on n’a pas forcément de travail rémunéré – on l’a perdu, on a choisi de ne pas en avoir, on fait autrement...

Les descriptions sont nées de deux façons: soit leurs auteurs ont entendu parler du projet et m’ont envoyé un texte, soit je me suis rendue moi-même auprès d’eux pour solliciter leur contribution.

Je laisse parler la personne aussi longtemps qu’elle le souhaite. J’essaie de me taire. J’enregistre. Je transcris ensuite ses propos. Je lui remets le texte écrit et nous en discutons jusqu’à trouver la forme sous laquelle il apparaît sur ce site.

Ma position n’est pas celle d’un sociologue ou d’un journaliste: je n’étudie pas, je ne cherche pas la chose intéressante, je ne synthétise pas – j’écoute et je transcris en restant au plus près des propos tenus.

Christine Lapostolle

J’écris depuis longtemps. Des livres qui se situent entre témoignage et fiction – des rêveries qui prolongent le spectacle de la vie. Le spectacle vu de l’intérieur, forcément. Le spectacle dans lequel nous sommes tous bon an, mal an, impliqués.

Dans l’école d’art où j’enseigne, je m’occupe du matériau langage, j’incite les autres à écrire, à faire attention aux mots... Les écoles d’art sont des lieux où l’on peut prendre le temps de la rencontre, des lieux où l’on ne se lasse pas de chercher comment transmettre, comment regarder, comment se parler, comment faire...

Ce site est un troisième pan de ce que je cherche avec l’écriture; ici l’expression de ceux qui participent et la mienne se rejoignent, je prête ma plume à des gens qui à travers leur parole mettent à disposition leur expérience.

Le blog que j’ai tenu sous forme d’almanach tout au long de l’année 2008 est consultable ici.

J’ai aussi travaillé en duo avec Karine Lebrun à l’élaboration du site 13 mots dont l’initiative et la forme lui reviennent.

Remerciements et contact

Je remercie tous les auteurs de descriptions ainsi que ceux qui ont contribué à la réalisation de ce site et ceux qui le fréquentent.

Le design de ce site a été réalisé par Gwenaël Fradin, Alice Jauneau et David Vallance en hiver 2018.

Si vous souhaitez, vous pouvez me contacter ici ou vous inscrire à la newsletter pour être averti de la sortie de nouvelles descriptions.

Tri par:
Date
Métier
Pascale, marathonienne 12.07.2021
Je suis enseignante dans le primaire. Je fais de la formation auprès des enseignants. Je me déplace dans les écoles. Comme j’ai un peu …
Violaine, épicière, équicière 01.02.2021
C’est une épicerie familiale qui était tenue par Angèle jusqu’à ses 85 ans. Ses parents l’avaient tenue avant elle. Quand elle est décédée, ses …
Éric, garagiste 22.12.2020
Le garage a ouvert en mars 2018. J’ai réussi à me salarier en août. Les gens réparent eux-mêmes leur véhicule et je les accompagne. Ce n’est pas …
Éric, artiste 04.05.2020
Je suis artiste et enseignant. Enseignant dans une école d’architecture. Artiste plasticien. Mon temps de travail, si on ne parle que de …
Yoann, futur ex-directeur culturel 14.04.2020
J’ai commencé à travailler pour cette structure il y a 17 ans. J’étais assez jeune, j’avais 23 ans. J’avais collaboré auparavant avec un …
Philippe, rentier homme de ménage 10.02.2020
J’exerce une curieuse profession, dont je serais bien incapable de donner le nom. Elle a un côté chic, puisque je suis propriétaire de trois …
F., Masseur bien-être 22.10.2019
Le nom du métier c’est «masseur bien-être». Il s’agit de massages à visée non thérapeutique. Le terme de thérapeutique est réservé aux …
Zéti, au marché et aux fourneaux 02.03.2019
Je travaille en tant que commerçante. Petite revendeuse pour commencer. Dans le coin. Je vends des bijoux. Des perles significatives, parce que …
Line, libraire 06.01.2019
Être libraire, c’est avoir un dos solide pour transporter les colis, tous les matins, avoir un bon cutter pour les ouvrir, les ouvrir avec …
Thomas, marin pêcheur 04.04.2016
Mon parcours. Je suis juriste de formation. Je viens d’une famille de marins. Mon père, mes grands-parents, mes arrières-grands-parents, ça …
P.L., président d’université 02.09.2015
Comment on devient président d’une université? Dès que tu entres à l’université comme enseignant-chercheur, tu consacres une partie de ton temps …
Js, maçon par intermittence 14.12.2014
Je me pose beaucoup de questions sur le monde du travail , sur ce que j’y cherche, ce que j’y trouve, sur ce qui me donnerait un peu de joie. Ça …
D., directrice d’école d’art 03.06.2014
Je n’ai pas toujours été directrice d’école d’art. Il y a des directeurs qui ont été prof. Artistes, de moins en moins, il doit en rester un ou …
Barbara, scénariste 08.02.2014
J’écris des films et des séries pour la télévision . Au fond, j’entre dans la maison des gens pour leur raconter une histoire. Pour moi, dans …
P., médecin spécialisée VIH 11.11.2013
Le métier de médecin, c’est quelque chose que j’ai toujours voulu faire. Même si j’ai autrefois pensé à faire de l’ethnologie – c’était plus …
Julie, hôtesse de l’air 02.08.2013
Mon premier vol. C’était en décembre, il y a presque douze ans. Je travaillais pour la compagnie Star Airlines . Nous étions une centaine de …
Arthur, vie extérieure 17.06.2013
Je ne dirais pas travail. Pas occupation. Je dirais que je n’ai pas d’occupation. Mais beaucoup de... de préoccupations. C’est avant …
Michel, psychanalyste 21.02.2013
Préambule. Longtemps, j’ai eu quelques difficultés pour répondre à la sempiternelle question: – Vous êtes psychanalyste, quel métier …
Annie, chercheur(e) 16.09.2012
Chercheur(e) – Je n’arrive pas encore à habituer mon œil à ce (e). Bien que, dans mon métier et dans ma vie, je revendique ce qu’il signifie: …
Benoit, pianiste 26.05.2011
Ça va faire dix ans cet été. Je vivais au Havre. J’étais marié, j’avais deux enfants, ils avaient sept et dix ans et on a acheté une maison ici, …
Françoise, houspilleuse locale 17.02.2011
Depuis que je ne travaille plus au journal , évidemment mes journées sont moins structurées qu’auparavant. Apparemment. Ce qu’il y a de …
Jean, maire 21.11.2010
Au quotidien, dans une petite commune comme la nôtre,  on a la chance d’avoir  un secrétariat de mairie ouvert six jours sur …
Mathilde, institutrice 19.08.2010
Travailler avec des petits Depuis quelques années, je fais classe toujours au même niveau: à des CE1, qui ont 7 ans. C’est un âge que j’aime …
M et L, facteurs 20.03.2010
Devenir facteur J’ai donné la parole à deux facteurs de mon village qui ont souhaité participer ensemble à la conversation. M. est toujours en …
Jean-Yves, éleveur de chèvres 06.02.2010
Les chèvres , je vais les voir plusieurs fois par jour, je suis obligé. Parce que des fois elles se sauvent malgré la clôture. J’ai 22 chèvres …
Marylou, auxiliaire de vie 17.12.2009
C’est très  difficile à raconter . Je fais des gardes de nuit à domicile. Je dors chez les personnes. Ce sont des personnes qui ne peuvent …
Sylvie, chanteuse russe 24.08.2009
J’aimais beaucoup les  contes russes  quand j’étais petite, mais comme il n’y avait pas de russe à l’école, je n’ai pas eu l’occasion …
Marijka, cinéaste 14.05.2009
Mon travail consiste à imaginer des histoires et à les réaliser en images et en sons. Il y a plusieurs temps très différents dans ma vie …
Jean, professeur de philosophie 30.01.2009
J’enseigne dans un lycée, à Montpellier. J’ai 43 ans et 14 années d’enseignement. Travail Il s’agit de  donner des instruments de travail …
L’activité de kinésithérapeute 20.08.2008
Le centre est un établissement privé, de 80 lits dits «de suites et de rééducation». Il fonctionne avec un prix de journée assez bas par rapport …
Les tourments d’une lycéenne 07.07.2008
De la difficulté de s’orienter… des couloirs du lycée au couloir de la faculté. Paris, premier septembre 2006: C’est la rentrée des classes, …
Martine, muséographe 17.03.2008
Mon métier c’est  exposer . Une histoire, une collection, un morceau de territoire, un thème, même. Je m’occupe des contenus d’une …
Éric, potier 15.01.2008
(Nous habitons le même village, nous nous voyons presque tous les jours. Nous nous sommes servis d’un magnétophone…) C’est un travail qui …
Je travaille dans une chaîne de cafés 03.10.2007
Recherche de la définition d’une «non-situation» (pour qu’elle en devienne une) d’une étudiante en philosophie, étrangère, qui travaille dans …
Christine, prof d’histoire de l’Art 20.06.2007
Tentative de description de la situation de professeur d’histoire de l’art dans une école des Beaux-Arts J’enseigne dans une école des …
Un quotidien 13.03.2007
J’ai deux métiers!! Par chance(?), je travaille à la maison. Le matin, après avoir conduit mon époux au travail, j’allume mon ordinateur …
Virginie, graphiste 02.11.2006
Je suis  graphiste – je fais aussi de la direction artistique. J’ai 39 ans. Je vis à Paris. Je travaille depuis 1991, soit 15 ans.  …
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M et L, facteurs20.03.2010

Devenir facteur

J’ai donné la parole à deux facteurs de mon village qui ont souhaité participer ensemble à la conversation. M. est toujours en exercice; L. a pris sa retraite depuis quelques années.

M: Ce métier, je ne savais pas du tout ce que c’était: j’étais secrétaire comptable avant. Je préparais un autre concours, j’ai vu une annonce dans le journal. J’étais en congé parental, je me suis dit, tiens ce serait bien, je ne travaillerais que le matin, l’après-midi je serais avec mes enfants. Au départ c’est pour ça. Mais bon, je ne m’attendais pas à ça. Je pensais que c’était moins fatigant. Tu es quand même moins fatigué quand tu fais ta journée de huit heures dans un bureau. Je peux comparer parce que j’ai fait les deux. Ceci dit, tu as des avantages aussi en tant que facteur. Autrement je ne serais pas restée! Tu as des contacts avec les gens. 

À Paris

J’ai passé le concours parce que je ne savais pas qu’on pouvait être auxiliaire à la poste! J’ai passé le concours puis je suis allée à Paris. Apprendre mon métier. Tous les titulaires commençaient par aller à Paris pendant… ça dépendait. Selon la situation familiale. 

Donc tu es dans un bureau à Paris. Tu commences par accompagner un autre facteur. On t’explique. Tu restes à Paris environ un an. Si ça se passe bien, tu te fais titulariser. Après tu fais tes fiches de vœux. J’ai eu de la chance, il y en a un qui est parti à la retraite ici. J’ai été mutée juste à côté de l’endroit où j’habite. 

Je me plaisais à Paris. Je rentrais tous les weekends. Il y avait les enfants. Le deuxième avait deux ans quand je suis partie. On l’a envoyé à l’école. La première fois que je suis rentrée, il ne me regardait plus.

L: Ca n’a pas dû être facile pour toi?

M: Non ce n’était pas facile. Maintenant les gens quand il s’agit de partir, ils disent «nous on a nos enfants…» bon… Je n’étais pas la seule dans mon cas… Je ne regrette pas. 

On finissait le vendredi midi, je reprenais le train le dimanche soir. Le train de nuit. J’arrivais juste pour aller au boulot. J’avais de la chance, mon boulot était à côté de Montparnasse. J’étais en foyer. À Montrouge.

 L: Moi je devais passer le concours aussi, mais il fallait aller à Paris. Ça ne me disait rien. Alors comme j’avais déjà une demi-retraite de la marine… J’ai suivi des cours. Cinq ou six leçons le soir. Après il y avait un examen. On a été reçus. Je reçois le papier qui dit «vous êtes reçu. Vous serez titularisé à condition d’aller dans la région parisienne. Ou à Strasbourg». Ils auraient dû me le dire avant, dire les conditions… 

Affectation 

Je suis revenue ici au bout d’un an. J’avais 35 ans. J’étais prioritaire parce que j’avais mes trois enfants. C’est là que j’ai connu L. On a travaillé ensemble pendant 15 ans. L. était déjà là.

L: Moi j’étais là depuis 68.

M: Il y avait six facteurs à la poste ici. Six et un rouleur.

La tournée

L: Quand j’ai pris, moi, en 68, on était huit. Et il n’y avait pas de voiture à l’époque. On faisait tout à pied ou en mobylette. En mobylette pour la campagne. Les voitures sont venues en 72. En mobylette ou à vélo.

M: Moi je fais toujours à vélo. Ça ne me gêne pas de faire du vélo, je trouve ça très agréable. Mais beaucoup préfèrent être en voiture. Tu n’as pas le même contact si tu fais ta tournée en voiture. À vélo tu croises beaucoup plus de gens.

L: Actuellement le contact a disparu. Je vois les facteurs comment ils sont maintenant. Nous on restait, même trop longtemps. Je restais discuter.

M: Moi pour ma tournée, j’ai beaucoup de retraités. Tu vois la porte qui s’ouvre. Il y en a qui me guettent!

L: Dans le temps il y avait les mandats. Vous rentriez dans la maison. Il fallait donner de l’argent. On discutait en même temps. Des mandats il n’y en a plus maintenant. Il faut aller au bureau. J’ai vu avoir 25 mandats par tournée. Partir avec 25 mandats. C’était quand même plus dur que maintenant, non?

M: J’en ai un petit peu à la maison de retraite. Des petits mandats. Je les laisse au secrétariat. Ce sont des petites sommes. Et puis j’ai la résidence des personnes âgées aussi. Moi j’aime assez ce contact avec les gens.

L: Toi c’est différent, tu es déjà un peu plus âgée, disons. J’ai discuté avec des gens. Ils disent que le facteur, on ne le voit presque plus. Quand je pense comment on restait des fois! Tout d’un coup on demandait l’heure… J’aimais bien discuter. Quelquefois on m’a fait la réflexion… Les gens me disaient: – Mais ton remplaçant, il est une demi-heure avant toi… Alors je répondais: Moi ça fait 25 minutes que je discute avec toi… J’aimais ça, moi, c’est sûr.

M: À partir du moment où le courrier est distribué, pour l’administration le reste n’a pas beaucoup d’importance. Du moment que tu n’as pas de réclamations. Moi j’essaye de trier rapidement. Au bout d’un moment tu as une certaine cadence, donc tu pars assez vite. Et c’est vrai que les gens t’attendent. Il y a des gens finalement qui ne voient que toi. Je vais chez une grand-mère, elle me dit: je ne vois que toi. Elle ne sort pas de chez elle. Je lui apporte et je lui emporte son courrier.

L: Des nouvelles de décès souvent on nous demandait.

M: Ça par contre je ne donne jamais.

L: Parfois je me suis fait avoir. Deux ou trois fois.

M: Tandis que moi je ne dis rien. Même si je sais, je ne dis rien. Je préfère.

L: Une fois quelqu’un me dit qu’une personne était décédée. En fait elle était bien vivante, la personne. c’est lui qui se trompait. Il avait mal compris. Moi je vais plus loin, on me dit, alors quoi de neuf? Je raconte que madame Machin était décédée. Ils ont téléphoné au mari. Alors là j’aurais mieux fait de me taire… 

Organisation

M: On démarre à 7h10, le tri général. Le courrier arrive dans des containers. Le tri général dure une demi-heure, puis tu classes ta tournée suivant ton itinéraire. Maintenant il y a une partie du courrier qui arrive triée par tournée. En principe, plus tard, en 2009, tout devrait arriver trié dans l’ordre de la tournée. Le tri préalable par tournée, qu’est-ce que c’est? C’est encore une suppression de personnel… 

L: Ça fait gagner du temps.

M: Oui, tu gagnes du temps, et tu as plus de courrier à distribuer. Tout ça est dû aux normes européennes. Le tri se fait mécaniquement. Pour le moment ici il n’y a qu’une petite partie qui est triée. Tu as quand même un plan déjà défini. Moi je fais parfois des petits écarts mais j’ai un plan. On va te demander plus en distribution. Je ne sais pas si j’aurais fait ce métier aujourd’hui. Supprimer du personnel, toujours. Pour eux c’est la rentabilité. 

L: Avant on finissait vers 13h30 la tournée. À la campagne surtout, ils attendent le journal. Pour les avis de décès. Une personne m’avait dit, pourquoi tu n’inverses pas? On arrivait toujours chez elle vers 13h, 13h30. Elle aurait voulu qu’on commence par chez elle. Le départ et l’arrivée n’étaient pas loin. Mais tu ne peux pas inverser ta tournée.

M: Quand tout est classé, tu pars. Moi je n’emmène pas tout mon courrier, je fais des dépôts. J’ai deux dépôts. Un facteur qui vient en voiture m’amène mon courrier aux dépôts. Comme ça je le prends là-bas. Et puis je continue ma tournée. Quand tu as des recommandés, des collissimo, tu vas voir les gens. Il y a une autre tournée qui ne fait que les paquets. Il n’y a pas très longtemps que c’est comme ça.

Aujourd’hui 

À la poste maintenant, les services sont séparés. Il y a la banque postale et la distribution. La banque est à part. Ce qu’ils veulent, c’est séparer complètement. Je ne sais pas si c’est bien. Ils veulent que le courrier soit distribué le plus rapidement possible. Ce qui les intéresse, ce sont surtout les gros clients: La Redoute et tout ça. Les cartes postales, les cartes de vœux, tout ça ça a baissé. C’est normal, c’est une évolution du métier. Est-ce que c’est bien ou mal, je n’en sais rien. Aujourd’hui ce sont plutôt les pubs… Les pub, c’est fou ce qu’il y en a. Tu as quand même du courrier mais moins. Il y a le service chronopost, qui est privé. Quand ils distribuent leurs chronopost, ils ne restent pas traîner chez les gens. S’il n’y a personne, ça revient au bureau de poste, c’est aux gens de venir chercher. 

Recrutement?

Ça a beaucoup changé. Tu n’as plus de concours à la poste. Tu n’as pratiquement plus de fonctionnaires. Nous on est quand même cinq. Mais tous ceux qui viennent maintenant sont des contractuels, des gens qui sont pris d’abord pour distribuer les pubs. Ça marche par ancienneté. Si on n’a plus besoin d’eux on les renvoie. Puis on les rappelle. Quand ils ont fait les pub pendant un certain temps, ils peuvent passer à la distribution si on a besoin d’eux. Les contractuels ne passent pas par Paris… Maintenant de toute façon c’est terminé: on ne va plus à Paris. On fait comme si le métier de facteur n’exigeait aucun savoir-faire particulier. Tout le monde peut distribuer le courrier. 

Aujourd’hui le recrutement n’est plus le même. On va embaucher quelqu’un parce qu’il y a un besoin sur une tournée quinze jours, trois semaines. Donc on va faire un contrat comme çà. Après, bon, il va rester à la maison pendant un certain temps, à lui de se débrouiller. Si c’est un jeune qui est motivé, il va chercher autre chose. Il va peut-être être rappelé. Il va faire des remplacements sur plusieurs bureaux. Et finalement il va peut-être avoir un poste. Mais ce n’est pas évident. Finalement ces gens là, ils ne sont pas formés. C’est à toi de les former. Ce n’est pas tout à fait normal non plus. Il aurait fallu au départ qu’ils aient une formation. Tu imagines, on te met là, devant un casier de tri, tu n’y connais rien… Ceux qui embauchent ne semblent faire aucune différence entre celui qui sait faire son métier et celui qui débarque. 

Pour une maladie, si c’est un jour, on ne remplace pas. Le travail n’est pas fait. Ça peut arriver que le courrier ne soit pas délivré parce qu’il y a un malade. C’est une tournée à découvert. On appelle ça «à découvert». 

Il y a toujours une personne qui est tournante. Mais c’est pour les congés. C’est prévu, son planning est fait pour les congés. Il y en a un autre qui fait les RTT, le planning est prévu aussi. Si jamais il y a un malade, on peut te rappeler.

L.: C’était laborieux à une certaine époque… quand un facteur tombait malade, ne pouvait pas venir… En été encore on trouvait, des vacanciers, des jeunes, il fallait les instruire un petit peu. Moi comme je connaissais bien toutes les tournées… il n’y en avait pas beaucoup qui connaissaient toutes les tournées… C’est moi toujours qu’on appelait… Au bout de deux ou trois jours je disais, je veux bien donner un coup de main à un jeune qui arrive. Mais il fallait rester une demi-heure de plus minimum. On a sa propre tournée à faire aussi… c’est vrai j’ai vu discuter là-dessus, quoi. Comme je n’étais pas titulaire, le receveur pouvait me faire faire deux tournées… et encore les gens trouvaient à redire. On finissait à je ne sais pas quelle heure… mais je pense que les gens ne se rendent pas compte… Deux tournées, ça fait beaucoup. Deux tournées en vélomoteur.

En équipe 

L: Tout en faisant le tri on racontait des petites histoires…

M: Ce n’est plus du tout la même ambiance. Souvent ceux qui sont là ponctuellement c’est «le plus vite je pars, le plus vite je rentre chez moi…» Il faut voir aussi que toi tu ne peux pas aller aussi rapidement. Parce qu’il faut quand même tenir dans le temps. Moi je ne peux pas me permettre de foncer comme une dingue. J’ai mon rythme. 

Mais bon il n’y a plus de concours. Il y a une fille qui était contrôleur et qui maintenant est avec nous. Elle ne se plaisait plus au guichet. Elle a demandé à changer. Il y a un garçon qui était mécano à la poste à Paris. Ceux-là, ils ont quand même gardé leur grade.

L: La retraite ça fait à peu près la moitié de ce que tu gagnes en activité: 50%. Si tu es titulaire, tu auras 80%. Moi comme j’ai la retraite de la marine, ça va. 

Discrétion

M. Je ne suis pas très observatrice. Il y a certaines personnes qui vont remarquer: «tiens, telle maison, tel truc a changé…» Tandis que moi, non. Je discute avec les gens. Mais te dire comment ceci, comment cela, là je ne fais vraiment pas attention. Tu peux me demander comment c’est chez untel, je ne pourrai pas te le dire. 

Une fois j’avais un carnet de chèques à donner à une personne, je l’ai donné à la fille, je n’ai pas le droit, mais je connaissais bien. Ensuite, je vois la mère, elle me dit: «tu as bien fait. Tu as vu que j’allais être grand-mère?» J’ai dit non. J’avais discuté avec la fille, je n’avais rien remarqué. Non, je ne regarde pas – franchement. 

Les gens dans l’ensemble sont sympas, je trouve, avec les facteurs. C’est-à-dire que je les connais seulement un peu. Juste ce qu’il faut! Je n’habite pas sur mon lieu de travail. C’est vrai que tu finis par te faire une idée des gens d’après le courrier que tu leur distribues!

En ville, c’est différent. À Paris, je ne connaissais personne. C’est totalement différent. Tu as des concierges, tout ça. 

Les histoires…

L: Quelquefois c’est délicat. Un coup j’avais moi aussi un carnet de chèques, pour une jeune fille. Elle n’était pas à la maison. Sa mère me dit: «Donnez, ma fille va rentrer à midi.» Je lui aurais peut-être donné, mais il y avait un accusé de réception. L’accusé de réception retournait à la banque. Alors j’ai dit non. Elle n’a pas compris ça. Vous vous rendez compte: si la signature n’est pas conforme, que ça retourne à la banque, qu’ils font une vérification. Un carnet de chèques simple, d’accord, j’aurais fait. Si c’était juste la signature. Mais avec un accusé de réception… 

M. Aujourd’hui ce sont les pubs qui sont prioritaires. Ces grosses boîtes, c’est un enjeu. C’est un enjeu financier. Il faut que ce soit distribué.

L: Dans le temps aussi les personnes âgées percevaient leurs mandats en liquide. Ça arrivait que ces personnes âgées soient à l’hôpital, laissant le fils ou la fille à la maison. Normalement tu ne donnes pas. Mais parfois tu connais bien la personne: «Ah si tu peux me donner, je lui remettrai quand elle va rentrer de l’hôpital», et patati et patata. Et si l’hôpital réclamait la pension? C’est arrivé une fois à un facteur qui faisait des remplacements pas loin d’ici. Il a donné à la nièce et, manque de chance, la dame est restée longtemps hospitalisée. L’hôpital a demandé où était passée sa pension. Par recoupement on a su que c’était le facteur qui donnait ça à la nièce. La nièce, elle avait gardé l’argent pour elle. Alors pour le facteur, ça a été la tuile…

Personnes âgées

Ici les personnes âgées attendent qu’on s’intéresse à elles. Je vois, à la Résidence, par exemple. Elles t’appellent parce que le courrier est intercepté par leurs enfants. Je trouve un petit mot pour passer voir untel. Ils me demandent des petites choses, ça leur donne l’impression qu’ils existent: «tu peux me commander ceci, tu peux me dire ceci». Je ne connais pas leur histoire, mais il y a ce lien avec eux. À midi il faut que je leur dise bonjour. C’est un peu comme des enfants, si tu dis bonjour à l’un, il faut dire bonjour à l’autre. Je ne suis pas obligée d’aller les voir. Des fois ça m’arrive d’aller dans la salle à manger – si j’ai un carnet de chèques, ou quelque chose comme ça. Ils sont contents, ils ont des choses à me dire, je prends mon temps. Parce que je crois que j’ai un peu pitié d’eux aussi – c’est surtout ça. Moi je trouve que quand on est vieux… 

Sur la route

Le moment où je suis le mieux, c’est sur ma tournée. Sur ma tournée je suis bien, c’est clair. Je suis dans mon élément. Je suis bien quand je suis à l’extérieur, quand j’ai quitté le bureau.

L: À l’intérieur on discutait quand même, avec les facteurs, les collègues… on racontait nos petits machins: c’était bien.

Au guichet

M: Le guichet c’est différent. C’était un autre concours à l’époque. Maintenant il y a des remplaçants qui font les deux. Au guichet tu n’as plus de concours non plus. Au guichet, c’est la vente. Elles ont du chiffre à faire. Je ne sais pas si elles n’ont pas un pourcentage de vente à faire. J’ai une collègue, elle était au guichet. Elle a changé pour la distribution. Ça l’énervait d’avoir tout le temps quelqu’un derrière, une pression pour vendre. À la distribution elle se plaît. Sinon elles sont obligées de proposer: un prêt à poster, des enveloppes comme-ci… Moi je trouve ça un peu… Encore ici ça va. Mais il paraît que dans les gros bureaux… ça viendra ici aussi. Moi je n’aurais pas pu faire… du commerce… 

Prévisions

Il y a des agences qui ont fermé. Ce sont surtout des guichets qui ont fermé. Il n’y a plus de receveur ici. Il est parti. Pour l’argent c’est au bureau principal. 

Au service général aussi il y a des suppressions de postes. Tout est informatisé. Tout ça c’est centralisé je ne sais pas où. La distribution pour le moment c’est toujours ici mais à plus ou moins brève échéance ce sera là-bas aussi, je pense. Des facteurs je pense qu’il y en aura toujours.

L: La poste ici a été construite en 69-70. Avant il y avait un bureau rue Laënnec, là où il y a eu l’imprimerie ensuite. Heureusement qu’il y a eu la construction. Sinon on partait. 

M: De toute façon ça va encore changer. Pour les tournées, comme il y a plus de courrier en fin de semaine – les grosses boîtes savent que les gens ont du temps le weekend pour regarder leurs offres, elles envoient plutôt en fin de semaine – ils mettent une autre personne seulement pour la fin de la semaine. 

Il y aura des facteurs qualité, facteurs ceci, facteurs cela… une nouvelle hiérarchie. Ça va être assez difficile de travailler en équipe parce que chacun a sa manière de travailler: celui qui est rapide, celui qui est minutieux. On ne peut pas demander de changer. 

En plus ceux qui organisent, ce sont des gens qui n’ont jamais fait de distribution. Ils ne connaissent rien. À la limite celui qui a commencé par la base et qui grimpe, il peut se rendre compte…

Les vélos

C’est comme pour les vélos. Mon vélo à moi est très léger. Là ils sortent des nouveaux vélos, vachement lourds, avec frein à disque… Le vélo me sert surtout à transporter mon courrier. Je le pousse, donc moi je préfère un vélo léger.

L: Moi au départ, de 68 à 72, j’ai fait pendant 4 ans ma tournée à vélomoteur. C’était à ma charge, tout: essence, réparations. Je n’avais rien du tout. Normalement j’aurais dû faire ma tournée à vélo. Ça faisait quand même 35 km tous les jours. Quand on ne crevait pas en route encore! Oh quel désastre quand vous crevez! J’ai vu crever en pleine campagne. La roue arrière en plus. Là, c’est la catastrophe. On ne sait plus comment faire. J’ai vu crever au phare du Millet. J’avais trouvé un copain pour me dépanner, je me rappelle… Et puis c’est beaucoup 20 minutes, une demi-heure pour réparer: tu perds toute ta journée. Fallait trouver le trou, trouver de l’eau pour mettre un machin et tout…

M: Maintenant c’est quand même différent: tu as le garagiste qui vient tout de suite. Ils ont un contrat avec une boîte en dehors de la Poste. Avant il y avait un garage PTT. Moi à mon avis tout va être privatisé. Tu sais, une fois que les derniers fonctionnaires seront partis… C’est l’esprit du privé, déjà. Maintenant qu’il n’y a plus de concours, si tu veux rentrer à la Poste tu peux t’inscrire. Ça dépend si tu connais le receveur… Il y a des gens qui ont quand même des CDI mais ce n’est plus la fonction publique. Les derniers concours datent de, je ne sais pas moi – peut-être 5 ans. Ils sont contractuels. Ils n’ont plus les avantages qu’on avait.

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