Mon premier vol.
C’était en décembre, il y a presque douze ans. Je travaillais pour la compagnie Star Airlines. Nous étions une centaine de navigants, tous très jeunes. On se connaissait tous. Mon tout premier vol était Mombasa au Kenya. Je volais sur un Tristar, je ne sais plus lequel, avec dix jours d’escale sur place. C’est un très bon souvenir, j’ai pu découvrir le Kenya…
Équipage.
Nous sympathisons très vite sur un vol. Sur les petites compagnies comme Star Airlines, on se revoit régulièrement. Tandis qu’aujourd’hui à Air France, je ne vole jamais avec les mêmes personnes. J’ai deux bonnes amies à Air France qui étaient auparavant dans mes anciennes compagnies, je n’ai jamais volé avec elles. Jamais! Nous pouvons faire des desideratas, nous pouvons choisir un vol par mois. Mais c’est compliqué parce que nous avons toutes nos vies, nos enfants... Alors on se dit qu’il faudrait qu’on fasse un vol ensemble, mais quand?
Découpage du temps.
On est affecté à un secteur, le mien c’est Caraïbes/Océan Indien. Mais je peux faire autant d’Afrique, d’Amérique latine, d’Asie, c’est juste au niveau administratif que je suis affectée à un secteur. Je fais un peu plus de vols vers La Réunion, les Antilles, l’Océan Indien.
Le rythme se fait sur un mois: pour un mois travaillé, il y a à peu près quatre ou cinq destinations, je parle des long-courriers. Parce que moyen-courrier et court-courrier, c’est différent. Un mois c’est du premier au trente, ou du quinze au quinze. Dans le salaire il y a une somme fixe et une part variable importante qui dépend des heures de vol. Le travail au sol n’est pas vraiment comptabilisé alors qu’il y en a beaucoup. L’embarquement peut s’éterniser, ça arrive, on peut rester jusqu’à cinq heures sur un tarmac pour différentes raisons, un tas de choses: problèmes techniques, bagages, grèves... Il y a beaucoup d’aléas autour de ce métier.
Sur long-courrier, il faut pointer une heure et demie avant le vol. On pointe puis on se rend en salle de briefing avec tout l’équipage commercial, les hôtesses, les stewards, le chef de cabine principal et les deux chefs de cabines. Les pilotes, eux, nous rejoignent en fin de briefing. Sur la plupart des gros porteurs nous sommes une dizaine, sur l’A 380, donc le plus gros avion, nous sommes une vingtaine. C’est énorme. Du coup le briefing, c’est là où on se rencontre, où on se dit: «Tiens, j’ai volé avec toi je ne sais plus où…», on se reconnaît plus ou moins. Ça va très vite, on sympathise très vite, dès qu’on monte dans l’avion. C’est l’intérêt de tous. On se tutoie tous. On sait qu’on va voler ensemble pendant un certain temps, un aller et un retour.
Le temps de la rotation dépend de la destination. Par exemple sur un vol Santiago, on a au minimum deux, trois jours de repos, je crois que c’est trois jours de repos. C’est en fonction aussi du décalage horaire et du temps de vol. Ça peut aller jusqu’à six destinations dans le mois. Tu peux rentrer à la maison, rester un jour, et repartir le lendemain.
À Air France, sur long-courriers, j’ai quatre vols par mois en moyenne et une période de sept jours où je ne travaille pas. Sept jours consécutifs garantis. Sept jours à la maison!
Aujourd’hui on vole beaucoup plus qu’avant. Je dirais que le 50% d’aujourd’hui équivaut au 100% d’il y a vingt ans. On nous demande plus. Moi ce que j’ai vu à Air France, c’est les équipages diminuer, plus de travail à bord, plus de passagers. On réduit un peu notre temps de repos aussi. La rentabilité prime. Même à Air France.
Communication.
C’est un aspect très important du métier, surtout depuis qu’il y a eu des crashs à cause d’un manque de communication entre l’équipage commercial et le personnel technique (les pilotes et copilotes). Donc oui, il faut que la communication s’installe. En général cela se passe bien. Sur moyen-courrier, je dirais que la relation entre équipage commercial et technique est plus agréable, on se connaît mieux. En fait sur court ou moyen-courrier nous partons plusieurs jours de suite sur les mêmes vols: par exemple quatre allers et retours Paris-Bordeaux. Et puis on va découcher à Bordeaux. Le lendemain on va faire Paris-Strasbourg, on va découcher à Strasbourg. Avec le même équipage, trois jours. Et c’est un petit équipage, ce sont des avions plus petits. Donc voilà, on se connaît mieux. J’en ai fait du moyen-courrier. Je trouve que c’est un autre métier. Je trouvais qu’il y avait trop de temps au sol. C’est ce qu’on appelle «faire du béton». Et puis il n’y a plus le plaisir des voyages...
C’est un métier physiquement très fatigant. Il y a d’abord les horaires complètement décalés, on peut travailler de nuit comme de jour et enchaîner de grandes amplitudes… À bord, on est quand même dans une boîte en métal à 10 000 mètres d’altitude et l’air des avions est plutôt malsain. Il y a un manque d’oxygène à bord, c’est très sec. En escale, il faut aussi rajouter le décalage horaire auquel on ne peut pas vraiment s’habituer. Physiquement, tout ça joue beaucoup sur la santé, sur la fatigue. C’est pour cela que ce métier à temps plein me semble complètement impossible. C’est aller droit dans le mur, se rendre malade.
Il y a quelque temps, les syndicats avaient fait une enquête sur l’espérance de vie des navigants; leurs résultats montraient qu’on a dix ans de moins d’espérance de vie que la moyenne française. Dix ans de moins. Le chiffre avait été contesté par la direction! C’est lié à la fatigue, au décalage horaire, au travail de nuit. Beaucoup de navigants travaillent à temps plein. Je ne sais pas comment ils font, je les admire. Il y a même des mères de famille qui travaillent à temps plein. Elles s’usent. Moi je suis plutôt sur le mode: travailler moins pour gagner moins et avoir moins de besoins!
Les Compagnies.
Avant d’entrer à Air France, j’étais à Star Airlines et j’ai enchaîné à Euralair, c’était une compagnie charter où les conditions de travail étaient très difficiles. Les rotations s’enchaînaient à un rythme de dingue! À cette époque ça m’arrivait parfois de rentrer de vol épuisée, en larmes… J’avais postulé à Air France et je m’étais dit, si je ne suis pas prise là, j’arrête ce métier.
Pour les conditions de travail, il reste une vraie différence entre Air France et les compagnies Charters. À Air France on peut choisir son temps de travail. Je suis à temps partiel à 66 %. Je peux me mettre à 75, 80 ou 92. Il reste encore plein d’avantages à Air France, même au niveau salarial. Et puis on y est titulaire au bout de six mois alors que mes premières compagnies c’étaient toujours des contrats à durée déterminée. À Star Airlines, ça s’est passé comme ça, j’ai enchaîné trois CDD et puis au revoir.
Quand il y a des grèves, il y a ceux qui disent: «Ben non ça m’arrange pas de faire grève, parce que mon vol d’après va sauter et mon planning va être chamboulé». On a chacun un planning mensuel autour duquel on organise notre vie et on n’a pas envie qu’il bouge. Il y a sept syndicats à Air France, c’est trop, ils s’annulent. C’est devenu la cacophonie...
Le client.
Il faut savoir qu’on ne dit plus passager à Air France, on dit client. Quand j’ai passé les sélections Air France il fallait bien faire attention à ne pas dire passager... Parce que c’est un client avant tout. Air France a beaucoup changé, et c’est ce qui ne me convient pas non plus, cela déshumanise notre métier, on nous transforme en machines. Il n’y a plus de spontanéité. On a des formations et des consignes à l’américaine: par exemple comment accueillir le client à bord avec des formules de politesse standardisées…
Chaque classe est différente, on ne la traite pas pareil. Moi je les traite toutes pareil, je ne fais pas de différence. Mais Air France en fait! Un passager «première» ne paie pas le prix d’un passager «éco». Il y a le luxe. On devrait carrément leur lécher les bottes, certains collègues en sont là!
C’est un métier où on doit être tolérants. Il faut s’adapter à chaque équipage, à chaque destination. Il faut s’adapter tout le temps – aux passagers aussi. Après, au niveau équipage c’est très représentatif de la société, c’est-à-dire qu’il y a tous les styles de gens, toutes catégories sociales, c’est très varié.
Air France nous fait passer des sélections. Il y a des tests psychologiques, des tests en groupe avant la formation. Au départ la formation n’était pas axée sur ce côté rentabilité au maximum. Aujourd’hui c’est très poussé, il faut absolument qu’un passager, un client, revienne. On sent que les cadres ont une pression au-dessus. Il faut être compétitif. On fait reposer ça sur nous. Quand quelqu’un part en voyage, ce qu’il retient de son voyage, ce n’est pas le temps passé à l’aéroport, mais le temps à bord. La concurrence est rude dans ce milieu. Il faut satisfaire les actionnaires. C’est ça la politique d’Air France maintenant, ce à quoi je n’adhère pas forcément...
Destinations lointaines.
Il m’arrive d’emmener mon compagnon. La dernière fois c’était sur un vol Santiago où on a passé neuf jours. Sur les longues escales, on en profite pour découvrir le pays. Souvent on prend des idées dans la fiche «escale»: dedans il y a des propositions d’activités, c’est un peu balisé… Il faut savoir que sur chaque escale, il y a des réseaux, il y a des gens qui vivent grâce aux activités des équipages, ils nous connaissent. Mais bon, on fait ce qu’on veut, il n’y a aucune obligation, on est libres. Dès qu’on sort de l’hôtel, on est en civil. Si j’ai une escale de plusieurs jours, je décroche. Enfin, je suis avec l’équipage, on sympathise avec une ou deux personnes, ça dépend, il n’y a pas de règle absolue. Cela dépend aussi des destinations. New York par exemple est une destination où chacun fait sa vie. Il n’y a pas de vie collective, on ne va pas se retrouver tous ensemble le soir...
Il y a des destinations plus exotiques comme les îles, les Antilles, là, il y a le pot équipage... On arrive à l’hôtel, ce sont souvent des hôtels luxueux. Jusqu’à présent! Minimum trois/quatre étoiles, voire cinq parfois. De très beaux hôtels. On fait le pot équipage, puis après ceux qui veulent aller dîner vont au restaurant. Des petits groupes se forment. Mais chacun vit sa vie en escale. Il y a toujours des piscines dans les hôtels où on va. Souvent je vais nager. Je prends plaisir à nager. Décompresser.
Il y a encore beaucoup de destinations que je ne connais pas. La dernière escale que j’ai appréciée à Air France c’est Bogota.
Destinations difficiles.
Il y a des destinations dangereuses. Surtout en Afrique. Air France va partout même dans des pays en guerre parfois. Sur ces destinations on évite de sortir de l’hôtel tout simplement. C’est le cas à Kinshasa ou à Brazzaville. En Afrique, dans certaines villes, je ne sortirais pas de l’hôtel: trop risqué – au Niger, Nigeria, Mali… Dans ces pays, on se rend à l’hôtel dans un véhicule blindé, une équipe de sécurité nous protège avec parfois des kalachnikovs... Au Nigeria par exemple, la densité de population est incroyable. Et je me souviens, le 4/4 dans lequel j’étais – enfin il y avait deux ou trois 4/4 autour de nous. Les voitures ne pouvaient pas passer parce qu’il y avait trop de monde. Alors un agent de sécurité est sorti avec sa kalachnikov et s’est mis à pousser les gens pour laisser passer les voitures. On est arrivés dans un hôtel, c’était un hôtel Mercure, il était complètement barricadé... Donc là je ne vais pas m’aventurer, je ne vais pas aller au marché. Non je n’aime pas ces situations… on reste à l’hôtel, on ne sort pas. En Arabie Saoudite, il faut sortir à trois. Avec un homme. Et porter le voile. Là c’est pareil je préfère rester à l’hôtel. Il faut respecter les us et coutumes de nos lieux d’escales.
Un incident.
J’ai vécu une fois un pompage réacteur. En soi ce n’est pas grave, mais on a eu très peur. C’était peu de temps après le crash du vol Rio/Paris et nous étions sur un 747-400, un gros porteur. C’était au décollage, j’étais en porte 3, au pont principal. J’étais aux issues d’ailes. C’est un avion avec quatre réacteurs. Tout à coup on entend un gros «boum», un bruit énorme! Et l’avion ne prenait plus d’altitude... Je me penche, je regarde par le hublot et je vois un des réacteurs en feu! Comme c’était au décollage, nous on ne doit pas se lever avant le signal, qui est donné par le commandant de bord. Tant qu’on n’a pas atteint une certaine altitude, on ne doit pas se lever: le chef à bord, c’est le commandant. C’est très hiérarchisé. Ça ne se ressent pas, mais tout est réglé. Il y a des règles partout.
Et là oui, j’ai vraiment eu une grosse angoisse. Je me suis vue partir, mourir quoi, je me suis dit ça y est, c’est fini. Je n’ai rien dit.
En fait le poste de pilotage est stérile à ce moment-là. Ce qui veut dire que pendant la phase de décollage et d’atterrissage nous ne pouvons pas communiquer avec les pilotes. Ils savaient qu’il se passait quelque chose parce qu’ils voyaient qu’on essayait de les appeler, cela a pris un certain temps avant qu’ils répondent à un de nos appels.
Pendant dix minutes on est restés dans l’incertitude, en voyant les flammes... On partait en Thaïlande. À Bangkok. L’avion était bondé. Il y avait un silence de mort, personne ne parlait. Tout le monde restait calme. C’était peu de temps après le crash. Les passagers devant moi ne disaient rien. C’était un couple, ils m’ont surprise. Ils ne se sont même pas pris la main, rien... Moi je décollais à côté d’une collègue, donc je lui parlais. «C’est bizarre, qu’est-ce qui se passe...» Elle, elle était prostrée, elle ne disait rien. On réagit tous différemment. On sait qu’un avion au décollage est plein de kérosène, c’est une vraie bombe volante. Une flamme dans les ailes, ça s’embrase et ça explose, quoi. Moi je pensais à ça. Je pensais ça y est, c’est fini. J’ai eu très peur.
En fait il s’agissait d’un pompage réacteur: en soi ce n’est pas grave, c’est juste que le kérosène a du mal à venir dans les moteurs. Du coup ça s’engouffre par à coups, ça fait énormément de bruit, il y a des flammes qui sortent du moteur. Ce n’est pas grave en soi, mais c’est très impressionnant. Une fois que j’ai su que c’était un pompage réacteur, je me suis dit, bon, ça va, on va s’en sortir!
Dès que j’ai su que c’était ça, le stress est retombé d’un coup, j’ai pu m’occuper des passagers qui eux étaient très angoissés. Le commandant a fait une annonce, il a dit qu’on allait tourner pendant deux heures pour larguer 80 tonnes de kérosène avant d’atterrir. On ne pouvait plus partir. Pas avec trois moteurs. Donc là il a fallu rassurer les passagers, les aider, tout simplement les rassurer. Au bout des deux heures, on s’est reposés avec trois moteurs et l’incident était clos.
Était clos entre guillemets car on avait quand même vécu quelque chose de très stressant. Chacun avait eu le temps de cogiter, je me souviens d’un stew (le stew: le steward), il venait de vendre une maison et il avait pensé qu’il ne pourrait pas profiter de l’argent... Moi j’avais pensé à mes enfants, lui pensait à sa maison. Et nous sommes tous repartis le lendemain, le même équipage, les mêmes passagers.
Sociabilité.
Les passagers varient selon les destinations. Quand c’est des destinations touristiques où les gens vont découvrir un pays, en général ils sont heureux d’être à bord. Mais il y a une très large clientèle d’hommes d’affaires. Surtout en classe business la majorité ce sont des hommes; ils prennent l’avion comme on prend un bus. On est là pour les servir et point barre. Ils n’ont pas envie de parler, enfin ça dépend. Les gens qui voyagent plus rarement sont encore un peu dans le rêve de notre métier, du voyage. Mais ça disparaît. On essaie de faire en sorte que les rapports soient faciles. On désamorce les situations conflictuelles. Quand j’étais plus jeune, au début de ma carrière, je prenais beaucoup plus sur moi. Maintenant, ça glisse. Voilà, on a une certaine habitude. Mais il y a toujours des passagers avec lesquels on sympathise!
Tenue.
Quand à l’escale on retrouve des passagers à l’hôtel, ça les étonne parce qu’on est complètement méconnaissables! L’hôtesse de l’air habillée, surtout sur Air France, est très stricte, le maquillage, la coiffure, pas un cheveu qui dépasse. Même nous, entre nous, parfois on ne se reconnaît pas. À Air France le standing est important. Moi je préférerais qu’ils soient un peu plus relax avec ça. La seule fois où j’ai eu un problème à bord avec quelqu’un, où ça s’est mal passé avec un collègue, c’était à propos de mon maquillage! Il estimait que je n’étais pas assez maquillée. Je n’ai jamais eu d’autres réflexions, les contrôles d’habitude sont parfaits. Et lui, il estimait que je n’étais pas assez maquillée. C’était un équipage où les hôtesses étaient extrêmement maquillées. Donc par rapport à elles, évidemment, je dénotais. Il m’avait fait un rapport. Mais j’ai fait un rapport par-dessus et c’est moi qui ai obtenu gain de cause.
L’alcool.
Nous sommes formés aussi pour les passagers indisciplinés. Les gens changent de comportement dans l’environnement exigu d’un avion. Pendant dix heures ou plus, les passagers se retrouvent assis à ne pas pouvoir bouger, surtout en éco. Certains prennent des médicaments pour pouvoir dormir, boivent de l’alcool. Quand j’ai commencé ce métier, les passagers pouvaient apporter de l’alcool avec eux, on vendait même des bouteilles d’alcool à bord. C’est fini. Par contre on en propose, mais avec modération, on se dit: «Celui-là, ça fait quatre fois que je lui sers un gin, c’est bon, on va arrêter!» S’il en demande un cinquième, on évite, on se passe le mot.
Décalage horaire.
Habiter la province ça complique. L’amplitude est plus longue. Sur un long-courrier il y a minimum huit heures de vol. Donc 1h 1/2 avant, 1h 1/2 après, ça fait des amplitudes de douze heures de vol. Sur long-courrier il y a systématiquement une nuit blanche, soit à l’aller, soit au retour, soit les deux, du coup ça peut faire facilement des périodes de vingt-quatre heures ou je ne dors pas. Sur l’Asie c’est terrible le décalage. Moi je n’y arrive pas. En Asie, je ne dors pas. Au moment du volcan en Islande, tous les aéroports d’Europe étaient fermés, je me trouvais en Asie et je suis restée bloquée neuf jours. Pendant neuf jours je n’ai pas dormi, quasiment pas. En plus on ne savait pas combien de temps on allait rester. Tous les jours on se disait qu’on allait repartir. Je faisais une sieste la journée, et la nuit je dormais deux heures puis je me réveillais.
Faux départ.
J’avais six jours à Madagascar, j’ai donc proposé à mon compagnon de m’accompagner, on a des amis qui vivent là-bas. On avait organisé le départ. On habitait Paris, mes parents étaient venus garder les enfants. Donc on embarque tous les deux, moi en fonction – comme on partait pour longtemps tout l’équipage avait emmené un accompagnant. Les passagers embarquent, embarquement standard, l’avion s’apprête à décoller. Et voilà que le commandant de bord fait une annonce: retour au parking, un problème de bagages! Et là on a attendu, une heure, deux heures, trois heures... ça a duré cinq heures! On ne savait pas ce qui se passait. Certaines personnes commençaient à s’énerver.
Moi je travaillais en éco. En général les passagers comprennent, s’ils s’énervent sur nous, nous on relativise, on essaie de les calmer, de leur offrir un verre d’eau, quelque chose à manger... Et puis à un moment je vais voir mon compagnon en classe au-dessus – en principe on doit faire comme si on ne se connaissait pas. Et là une passagère me saute dessus, m’agresse. Mon compagnon, qui était juste à côté, s’est mis à me défendre...
L’avion est parti au bout de cinq heures, mais il a fallu changer d’équipage. On ne pouvait plus partir parce qu’on avait dépassé notre temps d’amplitude. Mon compagnon est descendu aussi. Et moi je suis repartie sans lui le lendemain sur Montréal.
Malaise.
On est formés, tous les ans on passe un brevet de secouriste. Il y a souvent des problèmes de santé et lorsque ça dépasse nos capacités, on fait un appel médecin. Il y a toujours un médecin dans les avions. Je me souviens d’un vol, c’était sur l’Asie, sur Hong Kong, c’était au moment de la grippe aviaire. Il y avait toute une délégation de médecins à bord. On avait eu un problème dans ma zone, une femme de forte corpulence avait beaucoup de mal à respirer. C’était un vol de nuit, les passagers dormaient, elle avait son plateau sur les genoux, j’avais l’impression qu’elle étouffait. Et puis elle a perdu connaissance. J’ai essayé de sentir son pouls, je ne le sentais pas. Je tente de l’extraire de son siège, mais vue sa corpulence, ce n’était pas possible, je demande à un passager de m’aider, on l’allonge, par terre. Et là je pensais lui faire la méthode d’Heimlich, c’est un geste de premier secours permettant la libération des voies aériennes, je pensais qu’elle s’était étouffée en mangeant. Et comme elle était de forte corpulence, enfin bref, je n’y arrivais pas. Alors on a fait un appel médecin et il a fallu lui administrer de l’oxygène. Il s’est avéré que cette passagère avait pris des somnifères, plus de l’alcool à bord et puis elle avait été malade en Asie... tout ça avait fait un petit cocktail, elle s’était évanouie voilà.
Mais moi, en essayant de l’extraire – c’est tellement exigu – je m’étais blessée au genou. Je ne pouvais plus marcher. Je m’étais fait une entorse. Et donc il a fallu faire un deuxième appel médecin pour moi. Comme c’était sur un vol Asie, j’espérais que ce soit un médecin asiatique, avec un savoir d’acupuncteur, qui m’aurait remis ça tout de suite. Pas du tout, le médecin qui s’est occupé de moi, c’était le frère de Raffarin!
Il y a souvent des incidents sur long-courrier; soit il y a un incident technique, soit il y a un passager malade, il y a forcément quelque chose qui va se passer. C’est pour ça que ce n’est pas un métier routinier, pas du tout. Ce n’est jamais le même équipage, jamais la même destination...