Ce site est consacré à des descriptions de travail. Le travail avec lequel on gagne sa vie, ou une autre forme de travail, parce qu’on n’a pas forcément de travail rémunéré – on l’a perdu, on a choisi de ne pas en avoir, on fait autrement...

Les descriptions sont nées de deux façons: soit leurs auteurs ont entendu parler du projet et m’ont envoyé un texte, soit je me suis rendue moi-même auprès d’eux pour solliciter leur contribution.

Je laisse parler la personne aussi longtemps qu’elle le souhaite. J’essaie de me taire. J’enregistre. Je transcris ensuite ses propos. Je lui remets le texte écrit et nous en discutons jusqu’à trouver la forme sous laquelle il apparaît sur ce site.

Ma position n’est pas celle d’un sociologue ou d’un journaliste: je n’étudie pas, je ne cherche pas la chose intéressante, je ne synthétise pas – j’écoute et je transcris en restant au plus près des propos tenus.

Christine Lapostolle

J’écris depuis longtemps. Des livres qui se situent entre témoignage et fiction – des rêveries qui prolongent le spectacle de la vie. Le spectacle vu de l’intérieur, forcément. Le spectacle dans lequel nous sommes tous bon an, mal an, impliqués.

Dans l’école d’art où j’enseigne, je m’occupe du matériau langage, j’incite les autres à écrire, à faire attention aux mots... Les écoles d’art sont des lieux où l’on peut prendre le temps de la rencontre, des lieux où l’on ne se lasse pas de chercher comment transmettre, comment regarder, comment se parler, comment faire...

Ce site est un troisième pan de ce que je cherche avec l’écriture; ici l’expression de ceux qui participent et la mienne se rejoignent, je prête ma plume à des gens qui à travers leur parole mettent à disposition leur expérience.

Le blog que j’ai tenu sous forme d’almanach tout au long de l’année 2008 est consultable ici.

J’ai aussi travaillé en duo avec Karine Lebrun à l’élaboration du site 13 mots dont l’initiative et la forme lui reviennent.

Remerciements et contact

Je remercie tous les auteurs de descriptions ainsi que ceux qui ont contribué à la réalisation de ce site et ceux qui le fréquentent.

Le design de ce site a été réalisé par Gwenaël Fradin, Alice Jauneau et David Vallance en hiver 2018.

Si vous souhaitez, vous pouvez me contacter ici ou vous inscrire à la newsletter pour être averti de la sortie de nouvelles descriptions.

Tri par:
Date
Métier
Pascale, marathonienne 12.07.2021
Je suis enseignante dans le primaire. Je fais de la formation auprès des enseignants. Je me déplace dans les écoles. Comme j’ai un peu …
Violaine, épicière, équicière 01.02.2021
C’est une épicerie familiale qui était tenue par Angèle jusqu’à ses 85 ans. Ses parents l’avaient tenue avant elle. Quand elle est décédée, ses …
Éric, garagiste 22.12.2020
Le garage a ouvert en mars 2018. J’ai réussi à me salarier en août. Les gens réparent eux-mêmes leur véhicule et je les accompagne. Ce n’est pas …
Éric, artiste 04.05.2020
Je suis artiste et enseignant. Enseignant dans une école d’architecture. Artiste plasticien. Mon temps de travail, si on ne parle que de …
Yoann, futur ex-directeur culturel 14.04.2020
J’ai commencé à travailler pour cette structure il y a 17 ans. J’étais assez jeune, j’avais 23 ans. J’avais collaboré auparavant avec un …
Philippe, rentier homme de ménage 10.02.2020
J’exerce une curieuse profession, dont je serais bien incapable de donner le nom. Elle a un côté chic, puisque je suis propriétaire de trois …
F., Masseur bien-être 22.10.2019
Le nom du métier c’est «masseur bien-être». Il s’agit de massages à visée non thérapeutique. Le terme de thérapeutique est réservé aux …
Zéti, au marché et aux fourneaux 02.03.2019
Je travaille en tant que commerçante. Petite revendeuse pour commencer. Dans le coin. Je vends des bijoux. Des perles significatives, parce que …
Line, libraire 06.01.2019
Être libraire, c’est avoir un dos solide pour transporter les colis, tous les matins, avoir un bon cutter pour les ouvrir, les ouvrir avec …
Thomas, marin pêcheur 04.04.2016
Mon parcours. Je suis juriste de formation. Je viens d’une famille de marins. Mon père, mes grands-parents, mes arrières-grands-parents, ça …
P.L., président d’université 02.09.2015
Comment on devient président d’une université? Dès que tu entres à l’université comme enseignant-chercheur, tu consacres une partie de ton temps …
Js, maçon par intermittence 14.12.2014
Je me pose beaucoup de questions sur le monde du travail , sur ce que j’y cherche, ce que j’y trouve, sur ce qui me donnerait un peu de joie. Ça …
D., directrice d’école d’art 03.06.2014
Je n’ai pas toujours été directrice d’école d’art. Il y a des directeurs qui ont été prof. Artistes, de moins en moins, il doit en rester un ou …
Barbara, scénariste 08.02.2014
J’écris des films et des séries pour la télévision . Au fond, j’entre dans la maison des gens pour leur raconter une histoire. Pour moi, dans …
P., médecin spécialisée VIH 11.11.2013
Le métier de médecin, c’est quelque chose que j’ai toujours voulu faire. Même si j’ai autrefois pensé à faire de l’ethnologie – c’était plus …
Julie, hôtesse de l’air 02.08.2013
Mon premier vol. C’était en décembre, il y a presque douze ans. Je travaillais pour la compagnie Star Airlines . Nous étions une centaine de …
Arthur, vie extérieure 17.06.2013
Je ne dirais pas travail. Pas occupation. Je dirais que je n’ai pas d’occupation. Mais beaucoup de... de préoccupations. C’est avant …
Michel, psychanalyste 21.02.2013
Préambule. Longtemps, j’ai eu quelques difficultés pour répondre à la sempiternelle question: – Vous êtes psychanalyste, quel métier …
Annie, chercheur(e) 16.09.2012
Chercheur(e) – Je n’arrive pas encore à habituer mon œil à ce (e). Bien que, dans mon métier et dans ma vie, je revendique ce qu’il signifie: …
Benoit, pianiste 26.05.2011
Ça va faire dix ans cet été. Je vivais au Havre. J’étais marié, j’avais deux enfants, ils avaient sept et dix ans et on a acheté une maison ici, …
Françoise, houspilleuse locale 17.02.2011
Depuis que je ne travaille plus au journal , évidemment mes journées sont moins structurées qu’auparavant. Apparemment. Ce qu’il y a de …
Jean, maire 21.11.2010
Au quotidien, dans une petite commune comme la nôtre,  on a la chance d’avoir  un secrétariat de mairie ouvert six jours sur …
Mathilde, institutrice 19.08.2010
Travailler avec des petits Depuis quelques années, je fais classe toujours au même niveau: à des CE1, qui ont 7 ans. C’est un âge que j’aime …
M et L, facteurs 20.03.2010
Devenir facteur J’ai donné la parole à deux facteurs de mon village qui ont souhaité participer ensemble à la conversation. M. est toujours en …
Jean-Yves, éleveur de chèvres 06.02.2010
Les chèvres , je vais les voir plusieurs fois par jour, je suis obligé. Parce que des fois elles se sauvent malgré la clôture. J’ai 22 chèvres …
Marylou, auxiliaire de vie 17.12.2009
C’est très  difficile à raconter . Je fais des gardes de nuit à domicile. Je dors chez les personnes. Ce sont des personnes qui ne peuvent …
Sylvie, chanteuse russe 24.08.2009
J’aimais beaucoup les  contes russes  quand j’étais petite, mais comme il n’y avait pas de russe à l’école, je n’ai pas eu l’occasion …
Marijka, cinéaste 14.05.2009
Mon travail consiste à imaginer des histoires et à les réaliser en images et en sons. Il y a plusieurs temps très différents dans ma vie …
Jean, professeur de philosophie 30.01.2009
J’enseigne dans un lycée, à Montpellier. J’ai 43 ans et 14 années d’enseignement. Travail Il s’agit de  donner des instruments de travail …
L’activité de kinésithérapeute 20.08.2008
Le centre est un établissement privé, de 80 lits dits «de suites et de rééducation». Il fonctionne avec un prix de journée assez bas par rapport …
Les tourments d’une lycéenne 07.07.2008
De la difficulté de s’orienter… des couloirs du lycée au couloir de la faculté. Paris, premier septembre 2006: C’est la rentrée des classes, …
Martine, muséographe 17.03.2008
Mon métier c’est  exposer . Une histoire, une collection, un morceau de territoire, un thème, même. Je m’occupe des contenus d’une …
Éric, potier 15.01.2008
(Nous habitons le même village, nous nous voyons presque tous les jours. Nous nous sommes servis d’un magnétophone…) C’est un travail qui …
Je travaille dans une chaîne de cafés 03.10.2007
Recherche de la définition d’une «non-situation» (pour qu’elle en devienne une) d’une étudiante en philosophie, étrangère, qui travaille dans …
Christine, prof d’histoire de l’Art 20.06.2007
Tentative de description de la situation de professeur d’histoire de l’art dans une école des Beaux-Arts J’enseigne dans une école des …
Un quotidien 13.03.2007
J’ai deux métiers!! Par chance(?), je travaille à la maison. Le matin, après avoir conduit mon époux au travail, j’allume mon ordinateur …
Virginie, graphiste 02.11.2006
Je suis  graphiste – je fais aussi de la direction artistique. J’ai 39 ans. Je vis à Paris. Je travaille depuis 1991, soit 15 ans.  …
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Éric, potier15.01.2008

(Nous habitons le même village, nous nous voyons presque tous les jours. Nous nous sommes servis d’un magnétophone…)

C’est un travail qui m’offre la possibilité d’être seul et d’organiser ma vie comme je le veux. C’est une liberté inouïe dont je me rends compte. 

Quand j’entends autour de moi les gens qui me parlent des rapports souvent difficiles qu’ils ont dans leur propre travail – des relations avec les collègues, par exemple – c’est sûr que moi je n’ai pas ça, je ne subis pas ça. Je pense d’ailleurs que j’aurais eu du mal à faire un métier dans lequel j’aurais eu des contacts avec des collègues, beaucoup de collègues ou des choses comme ça. 

D’ailleurs quand j’étais ado, au collège, puis au lycée, quand il fallait dire quel métier on ferait plus tard, moi je n’avais aucune idée – jamais. Et ça, ça a duré très tard, jusqu’à plus de vingt ans. J’ai toujours pensé que je ferais un travail qui serait différent du travail des autres et que je serais probablement mon propre maître à bord. 

Au début. Ça s’est présenté comme ça. Au début, quand je me suis installé, il y a 9 ans, je n’avais pas vraiment d’idée sur la façon dont j’allais mener mon affaire. Je pensais par exemple que je sortirais plus souvent, que je ferais des séries aussi, des séries d’objets identiques. Et puis avec le temps, ça s’est mis en place tout seul, sans accident, ça s’est fait comme ça. Aujourd’hui je sors peu du village où je travaille – je fais une sortie par an, et cette année je n’en ferai pas. Et je ne fais pas de séries. Je ne pensais pas que ce serait comme ça. 

Ma production, en fait, c’est comme une machine, c’est comme un mécano, comme une machine. Disons qu’au début de l’année, en janvier, je fabrique la machine. Et puis je la mets en mouvement. Au début, ça tourne lentement, je vois si ça fonctionne. Et puis après, si je suis satisfait, la machine prend de la vitesse, elle prend de la vitesse assez rapidement. Et ça fait qu’en juillet/août je tourne à plein régime. Et début septembre, j’arrête la machine. Et je pars. C’est mon cycle de travail: voilà. 

Donc par exemple, c’est un détail, mais l’été – j’ai commencé tôt cette année, je suis ouvert tous les jours depuis plusieurs mois – ma voisine, qui travaille aussi l’été, me dit qu’elle ne comprend pas comment je peux tenir ce rythme très intense, en juillet/août, sans fermer. Fermer, c’est comme arrêter la machine. Je ne peux pas faire ça. C’est comme une pédale d’accélérateur, même si je lève un peu le pied, c’est terrible. C’est une vitesse de croisière, et donc voilà, je ne peux pas arrêter. 

Les clients. Disons que dans 99% des cas, ça se passe très bien, je suis ravi. Avec les années, il y a une clientèle qui s’est créée, qui est assez régulière. Moi ça me surprend toujours, j’ai des gens – quarante ou cinquante personnes, souvent des couples – qui reviennent chaque année. Vers la mi-juin je me dis, «tiens, est-ce que je vais tous les voir cet été?». Cet été, je les ai tous vus, sauf un couple. À chaque fois ça me surprend parce qu’ils achètent systématiquement des objets. Et cette année, pour la première fois, j’ai demandé à des gens «qu’est-ce que vous faites avec tout ça ? «Ils m’ont répondu qu’ils faisaient des cadeaux, qu’ils aimaient ça, voilà. Donc bien sûr, oui, ça fait partie du métier, j’explique comment je travaille, quelle terre je tourne, comment je fabrique mes couleurs, à quelle température je cuis. J’ai besoin de parler de ça. 

Quand je vais par exemple faire des courses en grande surface, ça m’arrive d’aller regarder la vaisselle – par désœuvrement les 3/4 du temps. Quand je vois qu’il y a des bols à 1 euro, 1 euro 20, qui souvent d’ailleurs sont de jolis bols, je me dis, comment cela se fait-il que moi, avec mes bols à 24 euros, je continue à en vendre? Mais je pense que des bols à 1 euro, il y en a des milliers, et voilà, c’est tout. 

Équilibre. Je sais exactement maintenant, au bout de 9 ans, ce qu’il faut que je réalise comme chiffre d’affaires pour tenir. Pour voyager, payer mes remboursements sur la maison, payer mes charges sociales… Je sais exactement quel chiffre d’affaires je dois atteindre et puis une fois qu’il est atteint, j’arrête. Je suis content parce que ça s’atteint en général à la fin du mois d’août. Donc je ne veux pas faire plus. D’une année sur l’autre ça varie, mais de rien du tout. Après je tiens mes comptes. C’est serré mais ça me suffit, je n’ai pas besoin de faire davantage. Je ne sais pas d’ailleurs si je pourrais. C’est un peu précaire. Je n’ai pas beaucoup d’argent de côté – mais en même temps, voilà, c’est mon choix de vie. 

Les prix. Cet été on m’a souvent dit – des clients, mais qui ne sont pas que des clients, parce que ce sont des gens avec qui je discute et que j’aime bien, il y en a parfois que je vois en dehors de la boutique – et certains me disent que je ne suis pas assez cher. Alors au début ça me laisse perplexe. Puis je me dis, eh bien voilà, c’est comme ça. En même temps je tiens à ce que les gens, tout le monde, puisse acheter quelque chose ici. Je sais que je pourrais augmenter les prix si je voulais. Enfin, je ne pense pas à ça. Pour moi, c’est juste comme ça. 

Je fais des erreurs; je n’ai pas vraiment d’analyse de ce que je fais. Parfois je me dis que tout ça se tient, malgré tout. Je fais ce qui me plaît et j’arrive à vivre de ce qui me plaît. Et ça, voilà, je suis content de ça. Par exemple, sur un décor qui marche très bien, je pourrais éventuellement écrire sur un cahier l’été «faire en janvier 20 petits vases de cette forme-là», parce que c’est parti comme des petits pains. Je ne le fais jamais. J’essaie de trouver un juste équilibre entre ce qui se vend et ce qui me fait plaisir à faire. Cette année, tous les décors que j’ai faits, rien ne m’est resté sur les bras à la fin de l’été. Je ne peux pas me forcer à faire les choses. 

Les autres. Je ne lis jamais de revues de décoration. Je n’en achète pas. Quand je vais en Bourgogne, je fais le tour de certains potiers. Mais en même temps, moi je fais de la terre vernissée, ce qu’on appelle des basses températures. Et généralement, les potiers qui sont installés comme moi travaillent le grès, et donc le rendu est complètement différent. Ça m’intéresse quand même de voir ce que font les autres. Je n’aime pas que d’autres potiers viennent chez moi. Quand ils rentrent dans la boutique, je sais tout de suite qu’ils sont potiers. Ça me met mal à l’aise. C’est peut-être parce que je suis autodidacte, peut-être que ça joue, je ne sais pas. Je pense qu’en fait c’est un milieu qui ne m’intéresse pas. 

Il y a des assemblées, il y a des associations, il y a énormément de marchés de potiers qui existent un peu partout. Et je suis régulièrement invité. Je ne réponds jamais. Je ne peux pas le faire parce que – un petit peu moins maintenant – je pense que mon travail n’est pas…, je suis assez impressionné par les objets des autres potiers. Qui sont plus âgés que moi par exemple. Là ça m’impressionne. Je ne sais pas comment dire, parfois j’ai l’impression qu’il n’y a pas d’épaisseur dans ce que je fais. Je pense que c’est un métier qui se fait sur la durée, et que moi je serai plus sûr de moi, je pense, dans 5 ou 10 ans. Mais en même temps, tout ça n’est pas très important. 

Je sais bien que dans les décors, ou dans la matière, il y a plein de voies que je n’ai pas encore explorées. Je prends mon temps. Il y a des techniques que j’ai envie de maîtriser et que je ne connais pas encore. Mon métier, tel que je le mène, tel que je le vis, ça me plaît beaucoup, donc je n’envisage pas d’arrêter ou d’en changer. Je n’envisage pas ça. 

Ailleurs. J’aimerais bien par exemple aller en Afrique, au Mali. D’abord voir l’Afrique. Et puis surtout voir ce qu’est la tradition céramique africaine au Mali par exemple, ou au Niger, ce que ça représente. Je pense que c’est comme en Inde. Quand j’avais vu des potiers en Inde, la poterie en Inde, c’est de la poterie utilitaire, qui sert, qui se casse, qui n’est pas très bien cuite, qui en même temps est très belle aussi. Enfin belle je ne sais pas, c’est autre chose. 

Moi je fais de la céramique aujourd’hui parce que j’aime ça. Dans les villages en Afrique il doit y avoir deux ou trois potiers par village, pour acheter les assiettes. Alors qu’aujourd’hui ici on doit être cinq dans le département, je ne sais pas. Dans un autre rapport avec l’utilitaire. Je fais par choix des objets utilitaires. Je pense que je continuerai ainsi. 

Pour en revenir à l’Inde, par exemple, quand j’avais vu ce vieux monsieur qui vivait dans la campagne, qui vivait dans une masure, avec un tour qui était rudimentaire, peut-être les mêmes tours qu’avaient les potiers indiens, les potiers du monde entier il y a 2000 ans – c’est juste une roue en bois sur un axe. Et quand j’avais fait de la poterie avec lui, en fait c’était deux univers complètement différents. On travaille le même matériau mais ça n’a strictement rien à voir. Moi je ne sais pas comment mon métier s’inscrit ici, dans cette société-ci – mais – il y a un problème là-dessus, sur ce point-là, en Occident. Peut-être davantage en France. En côtoyant une clientèle allemande ou anglo-saxonne, je constate qu’ils ont une approche bien plus normale, naturelle de la céramique qu’en France. C’est marrant parce que les Anglais, les Allemands surtout, touchent très facilement les objets – très vite, et naturellement, simplement. Alors que les Français sont peut-être plus impressionnés. C’est étonnant parce qu’il y a des traditions de céramique très importantes en France. Je suis incapable de dire pourquoi c’est comme ça. Peut-être que c’est une question d’éducation à l’école, d’enseignement, je n’en sais rien. 

Les gens d’ici, qui passent devant tous les jours, par exemple ceux qui emmènent leurs enfants à l’école, qui vient de déménager – je suis ouvert depuis 8 ans, et les parents d’élèves se garaient devant la boutique, et je pense qu’en 8 ans, une seule personne est rentrée, un seul parent d’élève. Il ya aussi des gens qui passent devant la boutique et qui ne rentreront, je sais, qui ne rentreront jamais. Mais ça m’est égal. 

La boutique. C’est une boutique qui n’est pas très grande et, comment dire, qui est séparée en deux. Il y a un espace qui doit faire peut-être 3 m sur 5 – qui est constitué d’étagères. Et il y a juste une petite ouverture qui donne accès à l’atelier. Les gens rentrent dans cet endroit-là et peuvent me voir travailler de l’autre côté où il y a aussi un four. Là il y a des plateaux de tournage. Je n’aime pas le contact de la main avec le métal – le plateau du tour s’appelle une girelle, c’est en métal et je n’aime pas le contact de l’eau, du métal et de la terre ensemble. J’ai fabriqué des plateaux de bois qui s’adaptent sur la girelle, comme ça je tourne sur du bois, ce qui est plus agréable pour moi. 

Et par terre on peut voir ce qui reste des blocs de terre – de l’argile noire, de l’argile blanche, et de l’argile rouge. Par choix, parce que j’aime bien changer de couleur, même si les terres, une fois qu’elles sont tournées sont la plupart du temps recouvertes de couleur. Couleur que je pose dessus. Mais on n’obtient pas le même rendu suivant que l’argile soit noire, blanche ou rouge. Puis là il y a un four, mon nouveau four, qui est électrique. Je fais deux cuissons. La première cuisson, c’est la cuisson du biscuit, c’est-à-dire que je tourne l’objet, je le mets à sécher, et le lendemain matin, je fais le pied. J’aime bien qu’il y ait des pieds – que les formes soient bien assises. 

Décor et cuisson. Une fois que l’objet a encore un peu d’humidité et un peu de plasticité, je le décore avec de l’engobe: c’est de l’argile blanche qui est diluée avec de l’eau, qui a une consistance un peu comme un yaourt nature et c’est blanc. Je vais teinter cette argile avec des oxydes métalliques: oxyde de cobalt pour le bleu, de chrome pour le vert, de manganèse pour les gris, etc. Puis après il y a les ocres. Là, ces engobes colorés vont me servir à teinter ou à décorer mes objets qui ont été tournés la veille. Une fois que les objets sont décorés, après, je les laisse sécher pendant 2/3 jours, parfois plus, ça dépend de l’humidité qu’il y a dans l’atelier. Et une fois qu’ils sont bien secs – il faut faire attention – je ponce les fonds avec un grattoir et là je fais une cuisson qui s’appelle la cuisson du dégourdi, à 1050 ° – entre 1030 et 1050 ° – pendant plusieurs heures, au moins 6 à 8 heures. Quand l’objet est cuit, j’obtiens un biscuit, c’est-à-dire que c’est une terre qui est cuite mais qui est perméable et poreuse, et donc, dans un deuxième temps, je fabrique un émail, l’autre nom c’est une couverte, et je recuis encore la poterie, là aux alentours de 1000°. L’émail, qui est blanc et poudreux lorsque je le pose, se vitrifie à la chaleur et rend la poterie imperméable et non poreuse.

L’objet. Et une fois que tout ça est fini, je pose les objets sur l’étagère et voilà. Je ne fais pas tellement attention à ça, et je ne sais pas bien faire ça – les mettre sur les étagères et définir un prix, c’est deux choses que je fais mal. D’ailleurs quelqu’un, une amie, le fait souvent pour moi. 

Autrement, ah si, j’aimerais bien préciser aussi: disons que dans une année je pense que je dois faire des centaines de pièces, je ne sais pas, peut-être 500. Et donc ça arrive parfois, disons que sur une moyenne de 500 pièces, je pense honnêtement qu’il y a peut-être 5 à 10 objets qui représentent ce que j’avais voulu faire. C’est souvent d’ailleurs des petits objets, mais ça peut être des grands, des grands plats par exemple, même un vase, un beau vase. Disons que ces 10 objets-là m’apportent beaucoup de satisfaction, voilà. Je ne les garde pas. Je n’ai gardé que les deux premiers objets que j’ai fabriqués. 

Ce qui est parfois difficile, pas douloureux, parce que c’est un peu trop fort, mais ça peut arriver, en pleine saison d’été, que le matin – c’est toujours très excitant, ça c’est un grand plaisir que j’ai, c’est d’ouvrir le four. Quand j’ai une cuisson émaillée, c’est-à-dire des objets terminés, il faut sortir les objets un à un, j’aime bien être seul dans ces cas-là. La boutique est fermée, et donc je regarde ce que j’ai fait, et puis, c’est assez rare, mais ça arrive parfois que parmi les 30 objets qui ont été cuits, il yen ait un – parfois il n’y en a pas du tout – il y a un objet que je trouve beau, que j’aime énormément. Et ce qui est terrible c’est qu’il arrive que cet objet je le vende dans l’heure – ça c’est quelque chose de frustrant. Maintenant, depuis quelque temps, je fais des photos, mais je trouve que ça ne rend pas grand-chose. Ce sont des objets qui sont partis…

Destinations. Et j’ai du plaisir aussi parfois, aujourd’hui j’ai un saladier qui est parti à Iena, en Allemagne, ça c’est agréable. J’aime bien les voyages et qu’il y ait des objets que j’ai faits qui soient un peu partout, j’aime quand les objets vont au bord de la mer – la mer du Nord. Là par exemple, j’ai vendu des objets – je suis allé ensuite regarder dans un atlas où ça se trouvait – c’est des îles qui se trouvent dans le Schleswig-Holstein, en Allemagne, au sud du Jütland, il y a de petites îles, un archipel d’îles plates, avec, j’imagine, des terres grises tout autour. Et voilà, j’ai des objets qui sont partis là-bas. En Norvège aussi, je crois que c’était la première fois cette année que j’avais des objets qui partaient en Norvège. J’aime cette idée-là. 

Voyager. C’est un équilibre, maintenant je sais que je ne pourrais pas finir une saison comme en ce moment, sans envisager de partir presque sur-le-champ – quitter ça. J’ai besoin de quitter ça. J’ai besoin de fuir mon atelier. Et quand j’arrête, ce n’est pas vraiment de la fuite, mais j’ai besoin de rupture. 

Quand je suis allé par exemple en Nouvelle-Zélande, l’année dernière, j’ai rencontré un potier dans un petit village. Alors, ce n’était pas comme les potiers en Inde, là c’était vraiment un vieux monsieur – 70 ans – qui faisait vraiment, pour moi, un travail remarquable. Justement il utilisait des techniques qui sont proches des miennes, et là, j’ai eu énormément de plaisir, j’ai vu son atelier. C’était dans un paysage absolument inouï, sur le bord du Pacifique, c’était un petit village qui s’appelait Granity, où j’avais trouvé un hôtel à flanc de montagne avec une terrasse en bois. Et lui il avait son atelier là. J’étais allé le voir, c’était un endroit merveilleux. Je n’aurais pas aimé être à sa place, je suis bien à ma place, mais j’étais content d’avoir vu comment il travaillait, son atelier. Alors c’est marrant, ça rejoint ce que je disais tout à l’heure, lui il a su tout de suite que j’étais potier. On a parlé longtemps et ça s’est très bien passé. Je suis content de m’être retrouvé dans cet atelier-là, au bout du monde, chez quelqu’un qui faisait le même métier que moi. Je pense qu’on avait des sensibilités proches. Mais dans son travail à lui on voyait qu’il y avait plus d’unité. Alors que moi, je me reproche de ne pas avoir d’unité dans mon travail. J’ai essayé – parce que c’était des techniques proches, des basses températures également – j’ai essayé de m’inspirer de son travail, mais ça n’a rien donné. Je lui ai acheté une assiette, je n’achète jamais de poterie, mais je lui ai acheté une assiette, que j’ai donnée à ma nièce. Non, c’était un beau travail. Et j’aimerais bien être un vieux potier apaisé, tranquille – peut-être qu’il a eu une vie atroce, je ne sais pas. Mais c’est un métier qui doit donner cette impression-là. Je sais qu’il y a des gens qui me disent «vous avez de la chance de faire ça…»

Place de l’Église. La place, oui, je la regarde. Je regarde beaucoup dehors, par la fenêtre, parce que j’ai l’évier qui est juste en dessous. Je n’avais pas de stratégie en m’installant mais je pense que si je n’avais pas été sur cette place-là… J’ai acheté à un moment où c’était encore abordable. 

Quand j’ai trouvé cette petite maison avec une vitrine, placée au meilleur endroit de la ville, c’était une chance inouïe. L’Église, oui, elle est là, elle est belle. Ça m’arrive d’aller dedans. Assez régulièrement. Mais ça ne compte pas plus que ça. 

Radio. J’écoute la radio, c’est marrant, parce que là elle est éteinte, c’est bizarre d’être ici aujourd’hui sans radio. Quand je descends travailler, j’allume la radio. Quand quelqu’un entre, je baisse si c’est trop fort, souvent je laisse. Je peux très bien décorer, j’ai besoin d’être concentré dans mon travail, pour les décors avec les lignes par exemple, j’ai besoin d’être très concentré, mais je peux très bien passer les pinceaux sur les assiettes ou sur les bols et écouter la radio. Et être complètement absorbé par ce que j’écoute. J’écoute attentivement. Par contre, si quelqu’un ne me plaît pas, même si je suis en plein travail, je peux très bien poser un pinceau, ou même si je tourne par exemple un vase et que j’ai plein de terre sur les mains, quand j’entends à la radio quelqu’un que je n’aime pas, je me lève immédiatement et j’arrête. Je remets quelques minutes après, quand je pense que c’est terminé. 

Parfois ça peut arrive que je mette de la musique, mais c’est rare, c’est rare. Il y avait une émission, qui maintenant a changé d’horaire, que je n’aime pas, l’après-midi, c’était pendant cette émission-là que je pouvais, soit éteindre la radio, soit mettre de la musique. Parce que je trouve cette émission insupportable. C’est comme tout le monde, il y a des choses que je ne supporte pas. Il y a des invités à qui je coupe le sifflet régulièrement. Qu’est-ce que je peux dire de plus?  

J’ai toujours du mal à dire que je suis potier, je ne veux pas dire céramiste parce que je trouve que c’est prétentieux. Donc voilà, c’est un métier, enfin, c’est mon métier. C’est un métier qui n’est pas fréquent. Ce n’est pas un vieux métier, au contraire. Je ne pense pas qu’un cuisinier qui fait à manger se dise, je fais un vieux métier… On a toujours fait à manger. Je ne pense pas à ça. C’est un métier qui m’apporte énormément de plaisir. Je voudrais quand même dire que c’est un métier fatiguant. Quand même. C’est beaucoup de travail. Les gens pensent que c’est un loisir parce qu’il y a des pinceaux, un four. C’est un métier dur, les gestes, j’ai mal au dos. Là par exemple, je sais que j’ai quelques assiettes à tourner encore, mais je pense que dans 15 jours je ne pourrai plus supporter ce travail. J’ai fait ce que j’avais à faire. Et j’arrive très bien à me sortir de ça, je peux arrêter. Ça n’existe plus quand j’ai décidé d’arrêter, ça n’existe plus. La reprise est plus longue et difficile parfois. Mais quand j’ai décidé d’arrêter, je n’y pense plus du tout.

Le site d'Eric, potier

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