Je suis enseignante dans le primaire. Je fais de la formation auprès des enseignants. Je me déplace dans les écoles. Comme j’ai un peu d’expérience maintenant cela m’intéresse beaucoup, ça me permet de réfléchir sur ma pratique: je suis obligée d’expliquer aux enseignants comment je faisais dans ma classe. Pour leur donner d’autres pistes de travail, apporter de nouveaux outils. Même s’ils font déjà des choses très très bien... Je vais retourner dans ma classe après. C’est un remplacement. J’étais partie pour un an, j’y suis depuis quatre... En quatre ans j’ai beaucoup évolué et je suis rentrée dans ce rôle de formatrice: passation d’astuces, de savoir faire...
J’ai une spécialisation EPS (Education Physique et Sportive); je suis en charge de ce dossier là. Faire pratiquer mes élèves. Le sport a toujours tenu une grande place dans ma vie, je pourrais en parler longtemps. J’en toujours fait, toute jeune j’adorais ça. J’ai eu des profs excellents au collège, au lycée, qui m’ont toujours encouragée et fait aimer le sport.
Je participais à tout: le mercredi après-midi: tu viens? oui, oui, je viens. Toujours partante! J’ai fait pas mal de sports différents.
Je n’ai pas fait d'études de sport. Je voulais être enseignante auprès des plus jeunes. Je me disais que je pouvais faire du sport aussi avec eux. j’ai quand même regretté de ne pas avoir choisi une filière qui m’aurait permis d’être plus en contact avec des sportifs de haut niveau. Cela me manque un petit peu.
Ma pratique personnelle s’est concentrée sur la course à pied. J’ai commencé à travailler, j’ai eu trois enfants en quatre ans, et quand je me suis dit, je vais reprendre le sport... Avec trois enfants petits, qu’est-ce qui est le plus facile, qui prend le moins de temps? C’est de partir courir depuis la maison. Hop, en une demi-heure on a déjà fait un bon tour. Dès que mon mari rentrait, je filais! Avant le travail, après le travail... Dès que j’avais un moment. Cela devient addictif.
Un jour mon médecin, qui courait, me dit, il va y avoir un marathon dans la région – c’était le marathon du Bout du monde – tu as le gabarit, tu ne veux pas essayer? J’ai commencé par dire, je ne pourrai jamais, ce n’est pas possible. Rien que la distance! Dans la tête, c’est impossible: 42km195 exactement. Il fallait relier la Pointe du Raz à Douarnenez en courant. Je ne pourrai pas. Si si si, il me dit, on va s’entraîner, on va commencer doucement... Finalement j’ai dit, pourquoi pas. J’aime bien relever les défis. Si ça a l’air impossible, c’est intéressant d’essayer. On s’est entraîné. Sur un peu plus de deux mois. Avec l’objectif de le terminer. Ça a commencé comme ça: le marathon du Bout du monde.
Le marathon c’est toute une aventure. C’est une aventure avant: c’est un projet, comme construire une maison: je veux faire ça... J’ai ça comme objectif et il va falloir que je me prépare. C’est deux mois, trois mois de préparation... Cela dépend d’où on part, de quel niveau. A priori tout le monde peut le faire. Tout le monde peut courir cette distance; ça dépend à quelle vitesse. Mais il faut s‘entraîner. Pour que le corps supporte cet effort si longtemps, il faut qu’il soit habitué à faire un certain nombre d’efforts au quotidien. Sachant qu’à l’entraînement on ne fait jamais la distance des 42km... On ne la fait pas parce que c’est épuisant. Si on fait cette distance là, on ne la refera pas un mois après. C’est très éprouvant pour le corps. On ne peut pas faire de marathon toutes les semaines. Moi j’en fais deux par an. C’est le maximum recommandé.
S’entraîner c’est courir souvent. Quand je prépare un marathon, je m’entraîne six jours sur sept. Avec un jour de repos dans la semaine. Et il faut courir un certain nombre de kilomètres par jour, par semaine. S’entraîner sur la vitesse. Il n’y a pas que l’endurance, il y a aussi l’intensité. Pouvoir courir vite. Parce que c’est quand même une course: il ne suffit pas de finir, il faut aussi finir le plus vite possible.
Il y a d’autres marathoniens dans la région. Il y a une association qui s’appelle les «réderiens»... on se retrouve et on court ensemble par affinités. Pour s’aider. Parce que certains entraînements sont très difficiles. S’aider c’est être accompagné pour que ça passe vite et sans douleur. Je cours souvent seule sur des sorties courtes, mais quand on fait du long et du dur, c’est stimulant d’être à plusieurs: il y a un certain jeu à ne pas être lâché par l’autre, à se lancer des défis: il faut qu’on soit arrivés à la côte en 30 secondes ... Á plusieurs, on discute, on se fait des amis. Et on découvre. On habite le même coin mais on n’a pas tous les mêmes parcours. On découvre tous les petits chemins qu’on ne voit jamais en voiture: les raccourcis, le bord de mer, la campagne...
C’est aussi un rapport à la nature. Parce que c’est un sport d’extérieur, par tous les temps. Un marathon ne sera jamais annulé quand il pleut. Le marathon du Bout du monde à la Pointe du Raz, on a eu la pluie, la grêle, le froid, eh bien on était tous là!
Cela doit faire quinze ans que je fais deux marathons par an. Le marathon du Bout du monde n’existe plus mais il y a des marathons partout, dans le monde entier. Cela donne l’occasion de voyager, de partir en weekend. Et de se faire des connaissances qui partagent la même passion...
Je n’ai jamais fait un marathon toute seule. Soit on se rejoint sur le site, soit on part ensemble en voiture. Si c’est loin on prend un hébergement à plusieurs sur place. En général c’est le samedi ou dimanche. C’est convivial: on mange ensemble, on a peur ensemble.
Les gens se sont préparés pendant des mois. Et là, qu’est-ce que ça va donner?... Est ce que je vais pouvoir finir? Est ce que je ne vais pas avoir mal au pied? est-ce que je ne vais pas avoir de crampe? ou mal au ventre? Il y a plein de questions. Parce que le corps souffre. Alors le fait d’être en groupe rassure.
L’entraînement, finalement, c’est plus dur que la course. La course, on est pris par l’émotion au départ, puis l’adrénaline tout de suite. Et il y a aussi cette inquiétude: est-ce qu’on arrivera à faire la distance le jour j?
Dans chaque marathon il y a des milliers de personnes. Á Paris il y a 40 000, 50 000 coureurs. Les coureurs les plus rapides se mettent devant. Il y a des sas. Tout est organisé. On sait si on fait un marathon plutôt en quatre heures ou en trois heures. Celui qui fait son premier marathon, il va peut-être le faire en cinq heures, il ne se met devant sur la ligne de départ, il va gêner tout le monde! Les gens savent se placer.
Le départ est donné dans une ville. En général on est sur la largeur d’une rue. On est les uns derrière les autres. Et là il y a une grande grande émotion. C’est théâtralisé: musique de fond, chroniqueur au micro qui fait monter un peu la pression, qui présente les vedettes du coin... les gens connus: Alors aujourd’hui on a untel sur la ligne de départ... Les gens se connaissent tous, se voient régulièrement dans toutes les courses...
C’est très amical. C’est une compétition contre soi-même. C’est difficile de gagner un marathon, donc c’est vraiment un défi personnel. C’est un peu comme la vie quoi, on est tout seul. On est seul mais de temps en temps il y a quelqu’un qui vient te taper dans le dos et qui te dit, courage... Il se passe plein de choses dans une course sur trois, quatre, cinq heures, c’est du concentré d’émotions. Le marathon c’est comme la vie. Et à l’arrivée tu sais que tu as tes amis qui sont là, qui t’attendent; même s’ils sont arrivés avan toi, ils attendent.
Ensuite on se retrouve tous et on fait une belle fête... Epuisés. Mais on partage ce qu’on a vécu: de la douleur, des émotions... et du bonheur!
Il y a des marathons très conviviaux. Les gens reviennent tous les ans. Le marathon de Cognac par exemple, certains viennent même déguisés, courent déguisés: c’est une fête. Le lendemain du marathon il y a encore un repas. Et pour se dégourdir les jambes il y a une randonnée, une marche. C’est un weekend de fête... Moi j’ai découvert cette région que je ne connaissais pas, le milieu viticole. On repart avec sa bouteille de cognac!
Il faut énormément de bénévoles pour organiser un marathon. Le long du site du parcours, et puis au lieu d’arrivée, au lieu de départ. Il y a tout un village marathon avec cantine, repas, tout ça. Et les gens vous accueillent vraiment; c’est chaleureux. On discute. On découvre. C’est une sacrée organisation.
Il y a un marathon à Paris, qui se déroule normalement au printemps. Je l’ai fait deux fois. On court dans Paris un dimanche matin sans aucune voiture. Il y a un silence... Et on passe par tous les lieux magiques de Paris, ça fait bizarre: sous les ponts, le long des quais de Seine. C’est une façon de déambuler dans une grande ville... On voit des paysages superbes.
On est allé avec les copains du coin à Berlin. On visite des grandes villes. C’est du tourisme sportif mais avec beaucoup d’émotion. Quelle que soit la performance.
Il y a aussi le fait que ce soit tellement éprouvant physiquement, tellement fatigant. Il arrive que les gens pleurent... Ce sont des sensations qu’on retrouve dans les grands événements de sa vie. C’est difficile à expliquer à quelqu’un d’extérieur.
On revient d’un marathon on est sur un nuage. La sécrétion d’endorphine nous fait planer pendant tout le weekend et les jours suivants. C’est une drogue. On est sur un haut plateau. Et puis après: on ne peut plus courir... Le lendemain, on ne peut pas descendre les escaliers! On se traîne, on fait du tourisme. Ça fait du bien de marcher parce que ça redétend les muscles. On est là entre nous, on débriefe, on a tous quelque chose à raconter. Chaque fois c’est une aventure. Une aventure entre nous, mais on fait aussi des rencontres, à chaque fois.
Quelquefois certains se blessent, cela peut arriver: ou qu’on se torde la cheville, des ennuis gastriques... Les ennuis gastriques, c’est un peu la maladie du marathonien. On s ‘arrête très peu. On s’arrête au ravitaillement: manger un petit peu, une collation, boire surtout, on a besoin de boire. Mais c’est une course, on est toujours en mouvement. Surtout si on est dans les premiers: on n’a pas du tout envie de s’arrêter, on est pris au jeu... Là on a envie de tenir, tenir, tenir. Cela m’est arrivé de gagner un marathon, je n’y croyais même pas, je me disais: ce n’est pas possible, ce n’est pas moi qui suis devant!
Il y a un gagnant fille et un gagnant homme. C’est un des rares sports qui fait concourir en même temps les hommes et les femmes, les professionnels et les amateurs. Un seul parcours, tous en même temps, c’est le même départ... C’est le seul sport où on part ensemble. Même épreuve, quel que soit ton niveau, tu es dans le même bain que les autres. Il n’y a pas beaucoup de sports qui mélangent hommes et femmes sur la même épreuve; les femmes courent un peu moins vite que les hommes. Les champions mondiaux sont des Kényans, le record doit être de 2h03, alors que les femmes, la meilleure au monde elle est à 2h14 peut-être. Entre des gens comme nous, dont ce n’est pas le métier, il y a plus de décalage encore.
Les professionnels, on les appelle les élites, sont devant. Sur des grands marathons comme Paris, la Rochelle, des grandes courses, ils partent devant, ils ont un sas préférentiel, des barrières. Il partent tellement vite de toutes façons, on ne pourrait même pas les suivre.
Mais tout le monde est récompensé, dans chaque catégorie. On voit des gens de soixante, soixante-dix ans sur le podium, c’est émouvant. Derrière c’est toute une vie de passion. Et ces gens-là ils sont connus dans le milieu, ils ont des tas d’anecdotes à raconter.
On est catégorisé par âge. Moi je ne peux pas concurrencer une jeune femme de 25 ans. Enfin si, parce que quand on est 1ère, 2ème ou 3ème sur un marathon c’est toutes catégories confondues.
Ce n’est pas une question de gabarit. J’ai vu des grands costauds arriver sur la fin du marathon, vers le 34ème kilomètre, on appelle ça le mur, j’ai vu des grands costauds s’écrouler au 34ème kilomètre. Physiologiquement, tout d’un coup, c’est comme si on n’avait plus de pile, plus d’énergie. Cela peut être dû à plein de choses: l’entraînement qui n’a pas été forcément bon. Ou alors on ne s’est pas bien alimenté pendant la course... Pas assez bu aussi, parce qu’il faut boire beaucoup pour ne pas avoir de crampe. Et le corps à un moment donné dit stop.
C’est là que quelqu’un qui passe à côté va peut-être te dire, allez viens avec moi... Ça c’est beau. Allez accroche toi... Quelqu’un que tu connais ou pas, qui galère aussi. Parce qu’on est tous dans le même bateau. Arrivés à ce nombre de kilomètres, on est tous fatigués. On est fatigués, mais c’est à ce moment-là qu’on commence à planer aussi.
Les endorphines sont tellement présentes. c’est tellement dur que quand on est bien – cela m’est arrivé souvent – eh bien on plane, c’est comme si on était un peu au-dessus du corps. Comme dans Tintin, le corps court et l’esprit est au-dessus, c’est planant quoi.
Il y a la préparation mentale, qui compte beaucoup. Dans la tête il faut être prêt. Ce qui se passe dans la tête de certains à un moment donné c’est: «j’en ai marre, qu’est-ce que je fous là ?» Et si ça prend le dessus, c’est fini. C’est un sport qui requiert énormément de force mentale. Pour dire au corps, ben non, tu continues. Alors que le corps à un moment il a forcément envie de s’arrêter... On a tous durant la course une faiblesse, c’est physiologique.
La respiration, le contrôle, la gestion, les souffles réguliers de tous les coureurs les uns à côté des autres dans la course – comme dans la vie...
Quand je prépare un marathon, je ne fais que ça, je dors marathon, je mange marathon, je ne pense qu’à ça. Mon emploi du temps est calé sur l’entraînement. J’essaie de choisir mes marathons en fonction du calendrier de mes vacances pour pouvoir bien m’entraîner. Deux marathons dans l’année cela nous prend quand même pas mal de notre temps. Plus de la moitié de l’année on est obsédé! Si je travaille, je vais courir tôt le matin. Je connais bien le boulanger, les infirmiers, on se salue, les pêcheurs, tous les gens qui se lèvent très tôt... Et je vais pouvoir m’entraîner une deuxième fois dans la journée. Pour avoir mon nombre de kilomètres. Á midi, le soir. Pour attteindre au minimum 100 kilomètres par semaine.
Des fois c’est dur. Mais il y a un plaisir. Plus c’est difficile, plus on est satisfait de l’avoir fait. Comme pour tout.
Le plan d’entraînement va crescendo en difficulté. Il ne faut pas penser à ce qui va être difficile. Il faut penser à l’entraînement que je vais avoir aujourd’hui, essayer de bien le faire.
J’ai évolué dans ma façon de m’entraîner. Il faut trouver ce qui est bon pour soi. Il y en a qui préfèrent faire beaucoup d’endurance, moi j’essaie de varier les distances et les exercices: un petit peu de vitesse sur la piste mais aussi une sortie longue le dimanche avec une ou deux copines.
On court tout le temps. On court la nuit aussi.
Le marathonien, il veut toujours faire mieux. On est des perfectionnistes. Améliorer à chaque fois notre propre performance: si j’ai mis quatre heures, il faut que la prochaine fois je fasse moins. Ou bien c’est une place, faire une place. Gagner. Faire un podium. Là c’est le summum. Quand on peut faire et un meilleur temps et un podium, c’est le bonheur. Pour gagner quoi? Pour gagner rien du tout. Sur certaines courses il y a de l’argent. Mais ce n’est pas ça. C’est un défi contre soi-même. Faire toujours mieux.
Ensuite? eh bien ensuite il y a un creux. On ne peut plus courir, on est en manque. Une grande fatigue. Pour que le corps se remette on dit que c’est un jour par kilomètre parcouru. Donc 42 jours... Toutes les fibres musculaires sont abîmées. On ne court presque plus. Les professionnels se massent, s’entretiennent, nous les amateurs on repart dans nos vies professionnelles. Puis on sent petit à petit le corps qui se régénère. Comme si on atteignait une pureté à un moment donné, je ne sais pas comment expliquer. On est régénéré d’avoir fait ça. Et ça revient. C’est un cycle en fait. Je ne sais pas si vous comprenez. C’est comme la vie. On apprend.
Cela change ma façon de voir la vie. Le sport de toutes façons vous apprend plein de choses. Moi cela m’a appris à ne pas paniquer dans le travail, à affronter les problèmes. Je les prends les uns après les autres, je ne panique pas. Je fais les choses sur la durée, comme un marathon. On prend le temps, on se pose, ça décante. Comme avec l’entraînement. Je serai prête le jour où il faudra. Cela m’apprend à gérer mon stress. Et à m’organiser aussi.
Le marathon il faut être humble, respectueux de son corps. Il ne faut pas lui demander plus qu’il ne peut. C’est cela que j’essaie de transmettre à mes élèves: tu n’as qu’un corps, il faut être exigent, mais il ne faut pas lui demander l’impossible.