Voltaire. Jusqu'à quel point on doit tromper le peuple
Les honnêtes gens qui lisent quelquefois Virgile, ou les Lettres provinciales, ne savent pas qu’on tire vingt fois plus d’exemplaires de l’Almanach de Liège et du Courrier boiteux que de tous les bons livres anciens et modernes. Personne assurément n’a une vénération plus sincère que moi pour les illustres auteurs de ces almanachs et pour leurs confrères. Je sais que depuis le temps des anciens Chaldéens il y a des jours et des moments marqués pour prendre médecine, pour se couper les ongles, pour donner bataille, et pour fendre du bois. Je sais que le plus fort revenu, par exemple, d’une illustre académie consiste dans la vente des almanachs de cette espèce. Oserai-je, avec toute la soumission possible, et toute la défiance que j’ai de mon avis, demander quel mal il arriverait au genre humain si quelque puissant astrologue apprenait aux paysans et aux bons bourgeois des petites villes qu’on peut, sans rien risquer, se couper les ongles quand on veut, pourvu que ce soit dans une bonne intention?

Né à Saint-Malo, mort à Posdam
Ne disons point que toute machine, ou tout animal, périt tout à fait ou prend une autre forme après la mort ; car nous n'en savons absolument rien. Mais assurer qu'une machine immortelle est une chimère, ou un être de raison, c'est faire un raisonnement aussi absurde que celui que feraient des chenilles qui, voyant les dépouilles de leurs semblables, déploreraient amèrement le sort de leur espèce qui leur semblerait s'anéantir. L'âme de ces insectes (car chaque animal a la sienne) est trop bornée pour comprendre les métamorphoses de la Nature. Jamais un seul des plus rusés d'entre eux n'eût imaginé qu'il dût devenir papillon. Il en est de même de nous. Que savons-nous plus de notre destinée que de notre origine ? Soumettons-nous donc à une ignorance invincible, de laquelle notre bonheur dépend.

Mesure du temps
Quarante ans plus tard, elle ne savait toujours pas ce qui lui avait pris. C'était un de ces longs après-midi sans école, comme souvent elle jouait dans sa chambre avec la voisine, Chantal. Elles jouaient tranquillement à un jeu de société qu'elle avait reçu en cadeau peu de temps auparavant. Un jeu où il faut former des mots avec des lettres imprimées sur des cartes semblables à des cartes à jouer. Parmi les accessoires le jeu il y avait un sablier. Deux petits renflements de verre emprisonnés dans une structure de bois vernis. le sable qui coulait avait été coloré en violet-mauve. Souvent elle sortait l'instrument de sa boîte pour le mettre à la verticale et regarder le sable s'écouler. C'était à Chantal de jouer, le sable descendait, Chantal cherchait son mot en silence. Ce silence de plein après-midi devint soudain insupportable, elle prit le petit sablier et le lança de toutes ses forces à travers la pièce. Le fragile objet se brisa.

Mandrin-Monique Morelli

Mad as a March hare