Alexandre Vialatte ne méritait peut-être pas le prix Nobel, pourtant dans les années 60, il tint dans Marie-Claire, une chronique-Almanach qui faisait apparaître dans les mots les choses réelles, les choses qu'on aime... Nous lui cèderons avec plaisir notre journée du 10 octobre.

Généralités
Triste ou joyeux suivant qu'il évoque à l'esprit le trépas de Charles le Chauve (6 octobre 877) ou le mariage de Victor Hugo (12 octobre 1822), le mois d'Octobre rappelle la création de la pêche Melba (18 octobre 1809) et le décès de Juliette Dodu, première femme décorée de la Légion d'honneur (25 octobre 1909).

La Vie
L'homme se débronze petit à petit ; des nourritures plus riches apparaissent sur la table : le lard, la choucroute, la potée, les bourgognes profonds, le homard mystérieux qui sait tout des secrets de l'Océan mais qui ne les révèle à personne ; le joyeux hareng saur, enfant des mers iodées, que l'Américain arrose de limonade ; le sanglier noir, le chevreuil résistant, la caille sur canapé, la girolle qui craque sous la dent, la morille encore pleine de sable, le coq gaulois, la salade russe, le lapin qui est père de famille, le mouton qui meurt sans enfants.

Conseil du mois
La grosse question est celle de l'hydromel: on oublie généralement trop qu'il faut bouillir le miel jusqu'à ce qu'un oeuf reste en surface et à demi-enfoncé dans le sirop, pour obtenir une liqueur parfaite. C'est pourquoi dans les bals mondains, le bon hydromel est si rare, surtout dans le XIIIème arrondissement.

Les pluies
Réclamées à grands cris au cours des Rogations par les populations rurales, les pluies arrivent enfin autour du 15 octobre, sur l'aile des vents océaniques, tantôt fines, persistantes, merveilleusement têtues, tantôt par épaisses cataractes. Elles chantent sur les toits, entrent dans les souliers, jouent du tambour dans les gouttières.

C'est en octobre que l'homme normal éprouve le plus vivement le besoin de sonner du cor et de ramasser les feuilles mortes.

Avenir
Il faut prévoir d'ici peu de temps de grands maquis de gens intelligents qui préféreront le champignon, même vénéneux, à la lente folie des grands centres ; des troupes de clochards de montagne ; des rassemblements d'hommes en loques autour de grands feux de camp où d'habiles ménagères feront cuire des hérissons, des matelotes de couleuvres, des soupes d'orties, des civets de chienne ; du foie de gendarme en cas de besoin. Une civilisation renaîtra de la pirogue, de la grotte souterraine, du culte du Soleil. L'homme recommencera à zéro. Ce sera affreux.

C'est en octobre, Natacha
Qu'il faut repeindre ta datcha.