Almanach
Qui pense ? Un immense réseau follement compliqué, qui pense multiplement et dont chaque noeud est à son tour un entrelacs indiscernable de parties hétérogènes. Les acteurs de ce réseau ne cessent de traduire, de répéter, de couper, d'infléchir dans tous les sens ce qu'ils reçoivent des autres. De petites flammes évanescentes de subjectivité courent sur le réseau comme des feux follets sur la lande aux multiplicités. Subjectivités transpersonnelles de groupes. Subjectivités infrapersonnelles du tour de main, du coup d'oeil, de la caresse. Certes, la personne pense, mais parce qu'un méga-réseau cosmopolite pense en elle. En cessant de maintenir la conscience individuelle au centre, on découvre un nouveau paysage cognitif.

Nef des fous
Parue à Bâle en février 1494, un jour de carnaval, La Narrenschiff livre à l'imagination "un étrange bateau ivre qui file le long des calmes fleuves de la Rhénanie et des canaux flamands". Inséparable des gravures sur bois qui l'illustrent, la Nef des fous devint l’œuvre la plus lue d’Europe. Chacun des cent douze chapitres caricature un vice humain représenté par un fou. Aucun groupe social n’échappe à la satire de Sébastien Brant, qui conjugue sur tous les tons, lyrique, épique, élégiaque, fantastique, les travers de l’humanité embarquée sur un navire, toutes classes sociales confondues. Nobles, roturiers, négociants, paysans, cuisiniers, magistrats, gens de robe et d’épée, tout le monde est du même voyage, qui est celui de la vie. L’auteur lui-même y figure en fou bibliomane accumulant les traités de sagesse sans pour autant devenir sage.

Foucault
...car ils ont existé, ces bateaux qui d'une ville à l'autre menaient leur cargaison insensée. Les fous alors avaient une existence facilement errante. Les villes les chassaient volontiers de leur enceinte ; on les laissait courir dans les campagnes éloignées, quand on ne les confiait pas à un groupe de marchands ou de pélerins... Enfermé dans le navire... le fou est confié à la mer aux mille bras, à la mer aux mille chemins, à cette grande incertitude extérieure à tout. Il est prisonnier au milieu de la plus libre, de la plus ouverte des routes: solidement enchaîné à l'infini carrefour. Il est le Passager par excellence, c'est-à-dire le prisonnier du passage. Et la terre sur laquelle il abordera, on ne la connaît pas, tout comme on ne sait pas, quand il prend pied, de quelle terre il vient. Parfois les matelots jettent à terre plus vite qu'ils ne l'avaient promis, ces passagers incommodes ; témoins ce forgeron de Francfort deux fois parti et deux fois revenu, avant d'être reconduit définitivement à Kreuznach.

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Il ne faut pas que février,
Laisse sans feuille le groseillier.