Almanach

Trackbacks

Aucun trackback.

Les trackbacks pour ce billet sont fermés.

Commentaires

1. Le dimanche 1 juin 2008 à 22:10, par Fantômette, la toute zaricot

La révolte des haricots rouges.
Tout a commencé le mardi 1er juin 1776, jour de marché. Les paysans étaient venus de la campagne pour vendre au bourg leurs produits. Mais comme c'était temps de forte disette, suite à la canicule de mai qui avait desséché les plantations et compromis les futures moissons, ils avaient peu de choses sur leurs étales et dans leurs paniers. N’étaient quelques salades d’un vert passé, des blettes rabougries, des œufs blancs à la coquille transparente, et pour les plus chanceux d’entre eux, réservés dans des cruchons en terre scellées par des carrés de tissus blancs, quelques laitages fermentés dont raffolent ces dames de la ville en guise de rafraîchissements en ces jours de chaleur orageuse.
L’incident débuta par une discussion entre Grégoire Dubuisson, l’homme Grégoire, métayer à Saint–Loup, et l’épouse du notaire Bertrand, Madame Louise, qui lui réclamait toutes sortes de légumes, dont des carottes, alors que l’homme Grégoire n’en avait point. Elle insistait cependant et finit, rose de colère, par l’accuser de paresse, de négligence à cultiver son potager, puis, pire encore puisque l’homme Grégoire ne bronchait pas à ces reproches, d’avoir fourni une autre alors qu’elle était depuis des lustres sa principale cliente.
Un début d’attroupement grossissait autour de l’étal de l’homme Grégoire qui, quoique d’un naturel pacifique, n'appréciait guère cette publicité tapageuse car maintenant Louise Bertrand criait presque et prenait à témoin les chalands pour condamner l’incurie du paysan. Elle eut tantôt des mots blessants qui suggéraient que l’homme Grégoire, à refuser la servir, crèverait vite de faim et que cela serait bien fait pour lui et sa famille. Une moustache de sueur ourlait sa lèvre supérieure, ses paupières viraient au bistre, ses yeux bleus semblaient avoir changé de couleur. Une vraie furie qui trouva soutien auprès d’autres dames de son espèce, épouses de maquignons escortées de leurs servantes rougeaudes, la femme du boucher et celle de l’apothicaire, la patronne du relais des postes et même la jeune comtesse de La Herbaudière qui avait pris l’habitude, à la mode de Paris, de faire elle-même ses courses chaque semaine au marché en remplissant deux grands paniers d'osier doublées de toile de Jouy de tas de choses inutiles, équipée pour la circonstance d’un costume, d’aucuns disaient un déguisement, extrêmement volantée et bouillonnant de nœuds et de dentelles, dont elle estimait qu’il était celui d’une bergère. Toutes ensemble derrière la femme du notaire, l'impromptu de l’altercation les dissipant de leur ennui. Mais ce qui attisait par-dessus tout leur vindicte c’était la promesse de leurs futurs comptes-rendus circonstanciés dans le cercle des gens comme il faut de ce gros bourg agricole où le moindre cancanage alimentait pendant des semaines les conversations.
Les voilà donc bousculant l’étale de l’homme Grégoire, le menaçant pour certaines de leurs ombrelles (a-t-on déjà dit que ce mardi-là, le soleil donnait fort) au point que le paysan se trouva acculé contre un mur, les mains en l’air comme s’il anticipait une mitraille invisible qui allait le fusiller. C’était ma foi un spectacle comique que ce géant assailli par une volière de petites harpies venimeuses. Ce fut la jeune comtesse de La Herbaudière qui porta le coup de grâce. Sortant de dessous son tablier en madras une bourse en tissu, elle en extrait une poignée de fèves qu’elle jeta au visage de l’homme Grégoire. « Tiens racaille, dit-elle, prends en de la graine. » Plutôt que des fèves, c’était des haricots comme on en connaît par ici mais d’un rouge tout à fait incongru, sombre et sanguin. La jeune comtesse laissa passer le temps qu’il faut pour savourer l’effet de stupéfaction dans l’aréopage des massacreuses, puis déclara en extrayant une nouvelle poignée de haricots rouges de sa bourse : « Je tiens cette nouvelle potagère d’un ami du comte mon mari, qui en a ramené un grand tonneau de nos colonies. C’est l’avenir ! » Ces dames se bousculaient autour de la comtesse pour contempler au creux de sa main la merveille, certaines, en prélevant un exemplaire, le tenaient pincé entre le pouce et l’index, le miraient à contre jour du soleil. L'une avança qu’on pourrait s’en faire des pendentifs. Toutes rirent, indifférentes désormais à l’homme Grégoire qui profitant de leur distraction ramassa par terre deux des haricots rouges qu’on venait de lui jeter à la figure. Il les renifla prudemment puis les porta à sa bouche et les goba sans façon. Sa mastication fut de courte durée. Comme s’il avait avalé un poison, l’homme Grégoire se mit à tousser violemment, manqua s’étouffer et finit par cracher la bouillie de haricot, d’un jet si violent qu’il éclaboussa la jeune comtesse en plein visage. On lui aurait jeté un flacon d’acide que la comtesse de La Herbaudière n'en aurait pas été plus interdite. Un très long silence suivit cette infamie. Mais la consternation céda à la rage de la jeune comtesse maculée qui brisa le manche de son ombrelle sur le crâne de l’homme Grégoire, vite secondée par toutes ces dames qui s’en prirent à lui à grands coups de sacs, de paniers et même griffures de leurs ongles pointues. Or, l’incroyable arriva. L’homme Grégoire après s’être recroquevillé, redressa soudain son corps de géant, serra les poings et se mit à répliquer coup pour coup. La femme du notaire en fut quitte pour une claque qui l’envoya dinguer les quatre fers en l’air mais pas la jeune comtesse de La Herbaudière qui, estimant sans doute que son rang la protégeait du rustre, redoublait de gifles. Bien mal lui en prit, l’homme Grégoire dégaina son couteau de chasse et alla lui planter profond dans l’abdomen. La comtesse fit « oh ! », recula de deux pas en se tenant le ventre et s’effondra à la renverse dans ses dentelles déjà rouges du sang qui jaillissait à gros bouillons de ses entrailles. La confusion fut énorme, les femmes hurlaient ou s’évanouissaient, les hommes ne savaient s'il fallait d’abord porter secours à la comtesse ou maîtriser le forcené. Mais la plupart des paysans présents s’interposèrent, prirent le parti de l’homme Grégoire, les nombreux mendiants qui sillonnaient le marché se mirent de leur côté, les manouvriers aussi. L'échauffourée virait à l’émeute et la petite troupe des bourgeoises ne dût son salut qu’à une retraite prompte à l’intérieur de l’église tandis que le cadavre de la jeune comtesse était piétiné par la foule devenue démente. Plus tard, l’église fut incendiée par les émeutiers et ses occupants périrent dans les flammes. Plus tard, le gouverneur de la Province manda la troupe contre ce qui avait pris l’allure d’une insurrection. Plus tard, le roi envoya ses dragons qui commirent dans les campagnes le pire des représailles.
Cette sédition est connue depuis sous le nom de «révolte des haricots rouges.» Son souvenir est commémoré chaque année le 1er juin.

Ajouter un commentaire

Les commentaires pour ce billet sont fermés.